Pour à la fois sensibiliser au rôle et à l’impact des émotions dans le travail mais aussi libérer la parole émotionnelle, Fullémo réalise un recueil de témoignages sincères et authentiques.
Il s’agit de répertorier les bonnes pratiques sous forme d’interviews écrites autour de six questions dont les réponses contribuent à l’éveil général.
Par ces partages d’expériences issues de tous types d’environnements, nous souhaitons diffuser des grilles de lecture, des manières d’aborder les situations qui peuvent résonner et inspirer nos lecteurs et ainsi favoriser leur épanouissement professionnel.
Pour en savoir plus sur les motivations à l’origine de ce recueil de témoignages : cliquez ici
Simon Hoayek est co-fondateur du Groupe Byblos qui accompagne ses clients sur des sujets relatifs à la sécurité et à la sûreté des personnes.
Avec sincérité et simplicité, Simon témoigne de sa vision du rôle de dirigeant, de sa responsabilité envers ses collaborateurs et de son engagement à faire du travail une expérience de plaisir et de réussite autour de l’intérêt commun.
« Personnellement cela ne me dérange pas d’être dépassé émotionnellement. Je pense qu’il y a une certaine beauté dans notre fragilité. »
Un grand merci Simon pour ce partage empreint d’une grande humanité.
1. Comment définis-tu ton métier ?
Simon Hoayek : Je suis responsable du succès de mes collaborateurs.
2. Quel est le sens que tu donnes à ton job ?
Simon Hoayek : Pour faire simple, il faut que tout ce que nous faisons procure du plaisir et surtout un plaisir collectif. Le sens, c’est la capacité de rassembler les hommes et les femmes autour d’un projet, de donner une direction, c’est avoir la certitude que tout le monde s’éclate y compris dans les moments compliqués. Le plus important dans ma compréhension de l’entreprise est de faire la différence entre les mauvais moments et les moments difficiles.
Les moments difficiles ne sont pas forcément mauvais et inversement. Un mauvais moment c’est quand on n’est pas en alignement total en interne, on ne sait pas comment prendre les choses, on a un problème organisationnel, on n’est pas en phase avec la vision ou encore on ne s’exprime pas. Tout cela amène les gens au désengagement, faute de mieux… En réalité, personne ne transpire dans ces moments-là. Quand on n’adhère pas à un projet, on le subit ou bien dans le meilleur des cas on fait le minimum obligatoire pour rester honnête envers soi-même.
L’entreprise telle que je la rêve et que je la veux, c’est que chaque collaborateur teste, explore, propose… et cela on peut l’avoir si on a réussi sur le volet plaisir.
Le sens c’est construire des projets qui ne sont pas figés, qui peuvent évoluer avec le marché ou nos capacités, des projets inattendus mais auxquels l’équipe adhère, se mobilise et se dit « Wouah, allons-y ! ». Il y a alors de jolis moments difficiles car on relève des challenges, on marque des points, ce n’est pas grave si ça n’a pas marché. On fait confiance à notre capacité à réaliser des projets et à grandir collectivement.
Face à une même situation, selon l’état d’esprit on peut la voir comme un challenge, une belle opportunité, “c’est un gros dossier mais ce n’est pas grave, on va être bons”, ou si on est dans un autre état d’esprit on peut le voir comme un mur où on n’a pas envie d’aller et cela va être envisagé comme difficile.
C’est la manière dont une société réagit selon son état d’esprit général, son énergie, qui fera que l’on perçoit une situation comme une opportunité ou un mur.
Cette énergie c’est comme quand une personne se présente à moi : ce n’est jamais par hasard. Cette énergie est un travail quotidien et ce n’est pas le mien. Au moment d’intégrer quelqu’un, je le responsabilise sur cette énergie : « ta première responsabilité est que tes collaborateurs réussissent et non pas de les mettre à l’épreuve. Ta mission est donc de faire attention à tout ce que tu as appris comme base du management : les mettre au bon endroit, être sûr qu’ils ont les bons outils » …
Le simple fait de penser qu’on est responsable du succès de l’autre est la meilleure voie pour créer de la cohésion et réussir l’intégration de chacun.
Chez Byblos, nous avons créé la sortie positive. Cela est venu de l’histoire d’un de nos responsables qui a « mis au placard » un collaborateur qui avait émis le souhait de faire autre chose ailleurs. Du coup, nous nous sommes retrouvés avec un collaborateur pas bien dans son poste. Nous aurions pu passer à côté mais en essayant de comprendre ce qu’il se passait, nous avons constaté que dans notre monde actuel, les gens ont envie d’avoir plusieurs expériences. Alors nous devons faire en sorte -peu importe si la personne souhaite faire une carrière chez Byblos ou juste une mission de deux mois- que pendant cette durée, tout se passe bien.
Et pour aller au bout du raisonnement, si quelqu’un a un projet, nous l’inciterons à l’exprimer et mettrons tout en œuvre pour l’aider à le réussir. Par exemple, si un technicien de sécurité veut devenir pâtissier, nous allons l’aider à trouver une formation.
Nous avons créé un service extraordinaire qui suit de très près les carrières des collaborateurs. Cette équipe ne pense pas carrière interne au groupe mais carrière avec les aspirations propres à chacun. C’est extraordinaire car cela permet parfois de réembaucher des anciens Byblossiens après une expérience ailleurs et c’est génial.
Il ne faut pas tomber dans le piège de demander au salarié d’être loyal à l’entreprise.
Une entreprise n’est pas une secte, il n’y a aucune raison d’avoir quelqu’un qui dise « je suis loyal à mon entreprise ». Pour moi, il faut regarder autrement les collaborateurs et leur demander « Quel est l’intérêt commun ? ». Comment va-t-on se faire plaisir pour que la performance individuelle serve la performance collective et inversement ? La performance collective permet aussi aux individus de progresser, de créer des opportunités, de compter les uns sur les autres et de trouver quelque part le maillon manquant de ses compétences.
La performance collective crée les conditions pour la performance individuelle.
Aucune action n’a vraiment de sens si au fond elle ne sert pas l’homme. Sinon on sert quoi ? Si on ne touche pas cet intérêt, cette contribution, il n’y a aucune raison à ce qu’on fait.
Une entreprise est une aventure rentable, de performance économique mais pas à tout prix. C’est une obligation essentielle à toute entreprise.
Pour être bien, il faut que tout le monde le soit. Je ne peux pas dire que je suis un entrepreneur épanoui si j’ai des équipes au bout du rouleau, sous tension. Cette sensibilité permet que collectivement nous sommes dans quelque chose de coordonné, d’homogène et que nous pouvons progresser ensemble.
3. Quels impacts ont tes émotions sur ton travail ?
Simon Hoayek : Total. Sans émotion on peut perdre la sensibilité.
Quand je rentre au bureau ou dans une agence, je suis vite interpellé si je sens que quelqu’un n’est pas bien. Je demande alors à le voir et vais lui demander ce qu’il se passe. J’aime les gens, j’aime mon équipe, je n’arrête pas de le leur dire, je suis content quand quelqu’un progresse. Ici tout se fête : les naissances, les mariages… Sans émotion, ça n’a pas de goût, c’est sans saveur. Trouver du sens, c’est bien mais du sens sans saveur, c’est plus compliqué.
Je ne pense pas que dans la journée il y ait un moment où je suis déconnecté de mes émotions, je pense que mes émotions prennent toute la place. Je ne peux pas adhérer à l’idée qu’un patron ne doit pas avoir d’émotions, je ne peux pas jouer un rôle « au bureau, pas d’affect », ce n’est pas vrai, c’est le contraire : il faut des émotions, il faut dire les choses et surtout les dire avec sincérité.
J’exprime mes émotions, peut-être même un peu trop. Je ne retiens pas mes émotions : si je suis ému, je pleure, il n’y a aucun problème. L’émotion c’est de la sincérité, c’est faire équipe avec quelqu’un. Au sein d’une équipe, il n’est pas possible de cacher les émotions. Nous sommes en cohésion totale, avec une certaine transparence et une coordination des actions. Nous avons chacun des rôles et sans les émotions, cela ne prend pas. Le lien de tout cela ce sont les émotions.
4. Raconte-moi une expérience dans laquelle tu t’es senti dépassé par tes émotions (ou tu as craint d’être dépassé) ?
Simon Hoayek : Personnellement cela ne me dérange pas d’être dépassé émotionnellement.
Je pense qu’il y a une certaine beauté dans notre fragilité.
La fragilité qu’on a même quand on exerce des responsabilités.
Si un agent fait une bêtise c’est grave, mais si son responsable fait une bêtise c’est très grave, si un directeur d’agence fait une bêtise, c’est très très grave et si moi je fais une bêtise, c’est très très très grave cela peut faire couler la boite. La plus grande responsabilité, c’est l’exemplarité.
Je n’ai aucun problème pour dire que je n’en peux plus que je suis dépassé, que je ne trouve pas la solution. Et je demande du soutien “Qui se sent capable de m’aider ?”. La première des choses à faire est d’accepter les faiblesses des parties qu’on ne maîtrise pas. Cela constitue la bonne gouvernance d’une entreprise.
N’importe quelle situation dans une entreprise est le résultat d’une décision prise. En remontant objectivement, cette situation est toujours le fruit d’une décision. La bonne gouvernance c’est de sécuriser la prise de décision. Pour faire preuve d’efficacité, il faut justement mettre différentes compétences autour de la table et demander « comment décider ? ». Si je suis un patron et que c’est moi qui tranche, je vais me priver de ce regard croisé. Si une personne autour de la table n’est pas convaincue que ce soit la bonne décision, je ne peux pas lui dire « c’est comme ça et pas autrement », je dois la convaincre que nous avons le même intérêt commun.
Le pré-requis est que mon équipe est dans le même bateau et a un intérêt commun. Je ne suis pas un patron solitaire. L’intérêt individuel n’empêche pas l’intérêt collectif. Ce qui n’est pas bon dans une entreprise c’est le désaccord sur la vision. Ce qui compte c’est d’avancer dans la même direction. Pas forcément la bonne direction car la notion « bonne » est relative mais la même direction. C’est ma responsabilité de fixer cette vision.
Il y a quelques années, une personne est venue me voir avec le projet d’investir dans Byblos Group, pour faire ce qu’on appelle une “ouverture de capital”. La profession n’était pas encore très reconnue. Cette personne était prête à investir une somme significative dans la société, cela nous permettait d’accélérer avec d’importants moyens. C’était une belle opportunité. Je me suis dit “cette accélération va nous obliger à ne plus être nous-même, parce qu’elle va exiger certains profils plus musclés, plus confirmés”. J’étais encore dans une phase de construction et j’ai pensé que cela allait laisser des personnes au bord de la route. J’ai décidé de décliner en affirmant “Ce n’est pas le moment”. Je pensais que nous grandirions quand cela serait le bon moment.
Le vrai succès c’est quand l’entreprise ressemble à ce qu’on a rêvé qu’elle serait et qu’elle correspond aux intentions et aux aspirations de tous les collègues qui l’ont rejointe. Je savais qu’on y arriverait mais à notre rythme.
“Le meilleur indicateur c’est le sourire d’un collaborateur”.
Un collaborateur souriant parlera en bien de la société et fera sa promotion. Lui promettre une prime s’il ramène un client alors qu’il n’a pas la banane au quotidien, cela ne marchera pas.
5. Quelles sont tes techniques pour rester confortable dans des situations qui t’impactent émotionnellement ?
Simon Hoayek : Je suis quelqu’un d’une nature très calme. Je pose toujours la question « C’est quoi l’enjeu ? ».
Je me rends compte parfois qu’un collaborateur n’a pas fermé l’œil à cause d’un dossier. Je lui réponds “Mais comment peux-tu gâcher une nuit de sommeil pour un dossier compliqué ? Tout est relatif. “C’est quoi l’enjeu ?” est la question qu’on doit se poser.
Finalement on est incapable de se rappeler pourquoi on était énervé la semaine précédente. Le temps passe à la même vitesse et on doit faire usage de ce temps pour qu’il passe de la manière la plus agréable possible.
Il y a des choses qui méritent de s’angoisser mais quatre-vingt-dix-neuf pour cent des choses qui nous polluent sont loin d’être la fin du monde, c’est juste notre quotidien. Si on veut imaginer un monde avec une entreprise où il y a zéro problème, ce serait ennuyeux. Ce n’est pas la vie qu’on a choisie quelque part.
Au-delà de relativiser, je prends un livre. Il y a quelque chose d’extraordinaire, c’est la poésie. Je lis des poèmes pour me détendre. J’adore la littérature mais je ne sais pas écrire. Je sais par contre à peu près dessiner. L’écriture est pour moi le plus bel art du monde. Quand je lis des poèmes, c’est beau. Des mots, des expressions aussi fortes qui portent autant d’émotions.
Sinon pendant des réunions, je ne prends pas de notes, j’écoute et je dessine, cela me permet d’en mémoriser les moindres détails.
Pendant la crise du Covid, la salle de crise était en bas. Nous étions très peu au bureau pour gérer les clients, la fermeture des sites… J’avais les oreillettes en place et, au téléphone avec les clients, j’ai attaqué le dessin du mur.
Commentaires de Mathilde Héliès : la photo de l’article a été prise dans la salle de crise, devant le mur illustré de tous les dessins réalisés par Simon Hoayek pendant les appels « COVID ».
6. Comment définis-tu l’épanouissement professionnel ?
Simon Hoayek : L’épanouissement professionnel est une satisfaction générale, de chacun. C’est l’autonomie : gagner un bon salaire est une satisfaction économique. C’est aussi la satisfaction sociale : je ne peux pas faire un travail, gagner de l’argent, être autonome et ne pas avoir envie de raconter ma journée à mes enfants.
Il faut éprouver une certaine fierté d’appartenir à une équipe, d’exercer une profession. Nous avons la chance de réaliser un métier où nous sommes le tiers de confiance de nos clients, il y a un engagement qui dépasse la capacité technique, il faut être à la hauteur.
Au-delà de la satisfaction sociale et de la fierté, il faut, j’ose le dire, une satisfaction spirituelle.
Peu importe les convictions de chacun. Dire “Dans ce travail je découvre, je teste, je grandis, je partage…” il faut que j’adore l’entreprise. C’est un lieu de belles rencontres, de gens complètement différents qui trouvent un intérêt commun à faire équipe. Pour moi, il faut veiller à cet épanouissement qui amène plusieurs satisfactions et ne pas se concentrer uniquement sur une seule.
D’ailleurs, nous ne sommes pas très compatibles avec quelqu’un qui a juste pour ambition de gagner plus, il aura toujours une proposition ailleurs. En revanche, j’ai des collaborateurs pour lesquels nous investissons beaucoup en formation pour leur permettre de faire ce qu’ils ont envie de faire et je trouve que cela a beaucoup plus de valeur qu’un salaire, surtout chez les jeunes. C’est un bien qu’il ne peut pas perdre, qu’il ne peut que cumuler, valoriser.
Pour conclure, je vais parler de la température interne et externe, une référence très connue à Byblos. Pour rappeler quel est le plus important dans une entreprise, je raconte toujours la même histoire depuis la création.
On sait que l’homme vit à +50° à un endroit et à -50°C à un autre. L’homme est donc capable de gérer une différence de 100°C, c’est la température externe, c’est une crise, un impayé, un changement de marché… tout cela nous sommes capables de le gérer, ce n’est pas cela qui tue l’entreprise. Cependant, en température interne, on est bien à 37°C, à 38° on n’est pas très bien, à 40° on n’est vraiment pas bien et à 42° on est à l’hôpital. Et au-delà, on est dans une boîte. Ce sont ces 5 degrés en interne qui nous font beaucoup de mal car nous ne pouvons pas gérer de telles différences. L’interne c’est être en phase, se mettre d’accord sur une organisation, c’est la performance individuelle au service du collectif et inversement, c’est toutes ces choses qui font que nous sommes collectivement solides et capables de gérer la température externe.
Il est essentiel de préserver la température intérieure pour faire face à la température extérieure. La température intérieure doit être stable. En veillant à la température interne, le reste peut être difficile mais pas mauvais.