Blog des sérials learners

PORTRAIT ÉMOTIONNEL #42 Témoignage de Christophe FARGIER

Libérer la parole émotionnelle en entreprise

Fullémo réalise un recueil de témoignages permettant d’une part, de sensibiliser au rôle et à l’impact des émotions dans le travail et d’autre part, de libérer la parole émotionnelle en entreprise.

Il s’agit de répertorier les bonnes pratiques pour contribuer à l’éveil général.

Par ces partages d’expériences issues de tous types d’environnements, nous souhaitons diffuser des grilles de lecture, des trucs et astuces, des manières d’aborder les situations qui peuvent résonner et inspirer nos lecteurs.

Notre intention à travers ces éclairages est d’aider nos lecteurs à lutter contre la fatigue émotionnelle et favoriser leur épanouissement professionnel.

Pour en savoir plus sur les motivations à l’origine de ce recueil de témoignages : cliquez ici

Témoignage de Christophe FARGIER

Aujourd’hui Fullémo donne la parole à Christophe Fargier, créateur de la Brasserie Ninkasi et de son concept « Bière, Burger et musique ». Mais le Ninkasi c’est aussi tout un écosystème qui est partie prenante de ses innovations et succès.

Avec authenticité et sincérité, Christophe évoque combien son engagement entrepreneurial est basé sur sa contribution à la vie de la cité, au développement d’un territoire et d’un futur désirable.

Il insiste sur l’importance du collectif et du suivi individuel de ses collaborateurs. Un levier formidablement employé par Christophe, attaché à permettre à chacun de ses collaborateurs d’exprimer pleinement ses envies et talents pour un plein épanouissement professionnel !

Quelle est la genèse de ton projet entrepreneurial ?

Christophe Fargier : à la fin de mon DESS à Lyon 3 de « Management des petites et moyennes organisations », je devais reprendre une entreprise de bâtiment (plâtrerie, peinture, maçonnerie) détenue par mes oncles en Ardèche. Finalement, je réalise que cela ne sera pas possible et renonce. Je ne voulais pas prendre le risque de créer des tensions dans la famille.

Je me suis donc retrouvé à la fin de mes études avec ce projet avorté. J’ai alors dit à Kurt, un ami américain « trouve moi du travail aux États-Unis, je vais y partir quelques années, je reviendrai avec un projet et monterai ma boîte en France. » Kurt m’a alors parlé d’un concept qui s’était beaucoup développé à Portland dans les années 90 : les micro-brasseries. Dans cette ville de 3,5 millions d’habitants, il y avait une centaine de brasseries. Cet ami a déclaré « je suis sûr que cela pourrait marcher en France ». Tout est parti de là.

Je suis parti travailler une année à Portland dans l’Orégon dans la brasserie Bridgeport où j’ai appris le métier de brasseur, Kurt apprenait le métier de boulanger, après des études équivalentes à Sciences Po. Il y a un lien entre pain et bière, deux produits faits à partir de céréales et qui nécessitent une fermentation. J’ai aussi suivi une formation de 4 mois à Chicago, le Siebel Institute of technology, spécialisé dans le brassage.

Tous les deux, nous trouvions extrêmement intéressant d’apprendre un métier nouveau et manuel.

Nous avons acheté notre premier système de brasserie sur la côte ouest du Canada.

L’idée de fabriquer quelque chose de mes mains m’enthousiasmait.

Quand en septembre 1995 je suis arrivé à Portland, nous avons investi dans un système de brassage que nous avons installé dans le garage de la maison de Kurt. Cela nous a permis de tester une centaine de recettes en une année.

En rentrant un an plus tard (septembre 1996) nous avons trouvé rapidement un lieu à Gerland, une ancienne entreprise de transport, pour installer notre micro-brasserie.

En septembre 1997, le Ninkasi ouvre avec une usine, une fabrique de bière et dans la continuité un bar restaurant café-concert. C’est le début de l’aventure. Nous servons des burgers gourmets et les pains sont tous faits maison.

Nous nous sommes rendu compte que nous devions créer notre propre marché pour que cela marche. Au début, nous souhaitions juste monter notre propre fabrique de bières avec une boutique mais nous avons réalisé qu’il fallait créer un bar-restaurant : le marché de la bière artisanale en 1997 était inexistant et les bars et restaurants étaient verrouillés par des contrats brasseur. Nous avons alors imaginé le lieu de nos rêves, celui que nous aurions aimé avoir en tant qu’étudiant.

Se lancer ensuite dans le whisky, c’est apprendre encore de nouvelles choses, découvrir un nouvel univers, la tonnellerie, la distillation, l’univers du luxe… Cette perspective d’apprendre et de faire de nouvelles rencontres est un moteur.

Je considère que nous n’avons pas été visionnaires en lançant la bière, les premiers burgers gourmets, nous avons juste fait des choses simples, que nous avions envie de faire. C’est après quand on raconte l’histoire qu’on peut dire que nous étions visionnaires.

L’aventure entrepreneuriale est une démarche heuristique : nous apprenons en marchant. Il faut garder une culture de l’évaluation, c’est crucial. Nous avons le droit de rêver, d’expérimenter, de nous tromper et c’est très important d’apprendre. Nous capitalisons au fil des années et acquérons une connaissance, une intuition de plus en plus affutée pour avoir la capacité de prendre rapidement des décisions, rendre des arbitrages.

Comment définis-tu ton métier ?

Christophe Fargier : Je suis un entrepreneur.  

Je me définis comme quelqu’un qui aime être dans l’action, qui ne craint pas les prises de risques et aime le collectif. Car entreprendre est une aventure collective.

J’aime utiliser le terme de chef d’orchestre. Je laisse beaucoup d’autonomie à mes équipes : c’est là où est la compétence, là où se fait le geste, que la décision doit être prise.

J’ai donc une vraie logique de décentralisation des équipes. Pour que cela ne devienne pas anarchique, il y a un enjeu important de coordination, de synchronisation, de rituels pour maintenir une cohésion.

Cette notion d’orchestration, d’animation est devenue mon rôle.

Mon rôle est donc de créer les conditions pour que  nous revalidions régulièrement le cap commun, les règles de vie communes, mais tout cela n’est jamais gravé dans le marbre.

Nous avons le droit d’interroger, de remettre en question, mais de manière collective.

Je suis aussi le gardien de ces valeurs, de l’histoire de ce projet, du sens que nous avons voulu donner à notre démarche.

Le Ninkasi est une belle aventure, j’aurai réellement réussi si ce projet peut continuer sans moi.

L’aventure entrepreneuriale est une démarche heuristique : nous apprenons en marchant. Il est crucial de garder une culture de l’évaluation. Nous avons le droit de rêver, d’expérimenter, de nous tromper et c’est très important d’apprendre. Nous capitalisons au fil des années et acquérons une connaissance, une intuition de plus en plus affûtée pour avoir la capacité de prendre rapidement des décisions.

La finance est un moyen, pas un objectif. L’enjeu numéro 1 d’un point de vue financier est pour moi de rester indépendant pour pouvoir rester une entreprise ambitieuse qui se développe en restant libre de ces décisions.

Le Ninkasi agit dans un territoire que je trouve extraordinaire avec une excellence dans le domaine de la gastronomie et de l’alimentation qui permet d’imaginer plein de choses.

J’ai fait de magnifiques rencontres qui ont fait émerger de nouvelles activités, notamment le whisky qui est une très belle aventure.

Une affaire de vortex :

Il y a aussi la notion de « vortex » : nous avons construit l’aventure Ninkasi en embarquant des gens avec nous, en construisant un écosystème et, au fil du temps, en développant une capacité à entreprendre de plus en plus forte car le collectif devient de plus en plus important.

Si nous regardons les gens qui travaillent au Ninkasi, et dans toute la chaîne de valeur (nos fournisseurs, les fournisseurs de nos fournisseurs), c’est un écosystème de 800 personnes. Un réseau très ancré dans son territoire puisque nous avons une distance moyenne entre le Ninkasi et nos fournisseurs de 150 km.

Nous avons établi des relations très collaboratives avec nos fournisseurs. Si je prends par exemple l’arbre à Glaces, nous avons voulu disposer d’une solution plus simple et qualitative. Il y a quelques années nous servions des glaces au Ninkasi, ce qui générait une forte complexité car cela prend du temps de préparer des coupes de glaces. Nous avons travaillé ensemble pour disposer d’un produit beaucoup plus simple à envoyer et tout aussi qualitatif.

L’innovation se fait dans toute la chaîne de valeur, pas juste dans l’entreprise.

Aujourd’hui nous avons développé une gamme de sodas avec l’entreprise Crozet qui nous fournit les sirops. Nous travaillons avec l’entreprise Ogier qui nous fournit les jus de fruits sur un projet de cidre. Nous nous rendons compte que dès que nous créons des relations fortes avec notre écosystème, l’innovation est partout.

Notre économie a été très focalisée sur la compétition, je crois beaucoup qu’il ne faut pas qu’elle disparaisse, mais si nous mettons plus de coopération dans notre économie, nous allons créer beaucoup plus de valeur que nous n’en créons aujourd’hui.

Le Ninkasi en est la preuve : énormément de belles choses se sont créées parce que nous avons réussi à construire des relations saines avec notre écosystème.

Quel est le sens que tu donnes à ton job ?

Christophe Fargier : c’est le sens du projet. Ma conviction profonde, c’est en quelque sorte ma façon de faire de la politique, c’est d’être une entreprise citoyenne qui participe à la vie de la cité, de son territoire.

Je ne me sens pas du tout en capacité d’être un homme politique, je ne crois pas en avoir les qualités, en revanche j’ai une capacité d’action sur un écosystème que j’ai construit et qui peut prendre sa part.

Aujourd’hui nous vivons une époque de transformation, de bifurcation et la responsabilité en tant que citoyen -ou chef d’entreprise- est d’avoir une contribution à faire émerger de nouveaux modèles.

Je crois qu’il faut faire le deuil de de la modernité, qui a été très belle, néanmoins nous arrivons à la fin d’une histoire. Nous avons touché les limites de la civilisation de la rationalité et de la technique.

Nous pouvons faire émerger, le concept n’est pas de moi, une « civilisation de la vie » où l’homme se remet au cœur de la biosphère et en devient beaucoup plus respectueux en ayant vraiment intégré que nous faisons partie d’un tout.

Aujourd’hui s’approprier la nature, considérer que les ressources sont inépuisables, que nous pouvons tout dominer est une erreur, donc il faut changer.

Comment faire émerger de nouveaux modèles d’affaires, de nouvelles façons de faire société ?

Je pense que le Ninkasi en tant que lieu de vie de brassage joue sa part : comment je reconstruis le lien social ? Comment je crée les conditions du vivre ensemble ?

Nous avons la chance d’être dans l’agro-alimentaire. 70% des problématiques de perte de biodiversité sont liées à nos méthodes de production et de consommation. Nous sommes donc au cœur des enjeux. Il est alors inconcevable de ne pas être acteur de ces transformations. C’est cela qui me donne envie chaque matin d’aller mettre mon énergie au service de notre projet. C’est un sens qui est tellement profond. J’ai des enfants, j’ai envie de leur laisser un monde qui soit encore vivable et avec un futur qui soit désirable.

Les théories de l’effondrement me glacent et je me dis que ce n’est pas possible, s’il y a une petite chance que les choses se passent différemment, je dois tout faire pour que cela puisse se passer.

Je suis à la pointe en termes de pilotage financier et de système d’information. Néanmoins, la finance reste au service du projet. Ce n’est pas le projet au service de la finance. Je n’ai pas besoin de distribuer des dividendes ou d’avoir plein d’argent, une énorme maison, une énorme voiture. J’ai besoin que nous performions pour que nous soyons le plus ambitieux possible dans ces enjeux de transformation de société.

Entreprendre dans ma manière de fonctionner ce n’est pas avoir une vision mais avoir de l’envie et du plaisir. Mon moteur pour décider de faire quelque chose c’est le plaisir, l’envie, le désir que cela suscite.

Quels impacts ont tes émotions sur ton travail ?

Christophe Fargier : Les émotions sont centrales. Il y a cette notion de plaisir, de désir qui est centrale. Je ne suis pas capable d’entreprendre ou de me lancer dans une aventure s’il n’y a pas une envie forte.

Notre marque employeur : « Au Ninkasi, on vit, on vibre, on grandit » transmet que nous sommes là pour donner du plaisir aux personnes qui fréquentent nos établissements. Le préalable est que les gens qui y travaillent en prennent !

La symétrie des attentions

C’est la symétrie des exigences : je m’occupe bien de mes collaborateurs, je les accueille bien quand ils sont recrutés, dès lors je suis légitime à leur demander de bien accueillir nos clients.

Si une personne se sent bien au Ninkasi, il y a de grandes chances qu’elle ait le sourire et s’occupe bien des clients.

Nous prenons soin de nos collaborateurs en créant les conditions pour qu’ils s’épanouissent et puissent révéler leur talent. C’est le levier le plus puissant pour être performant. Nous mettons énormément de soin à l’intégration, nous avons un management fin : chaque manager s’occupe d’une petite équipe (pas plus de 5 personnes) pour bien connaître ses collaborateurs, nous réalisons des entretiens mensuels.

Ces entretiens permettent d’identifier s’il y a une compatibilité entre le sens qu’ils souhaitent donner à leur vie et les nombreux projets que Ninkasi porte. Ces projets leur permettent de trouver leur place en fonction de leurs compétences et de leurs aspirations. Cela demande beaucoup de polyvalence.

Miser sur les talents

J’ai des collaborateurs qui nous ont rejoint en tant que commerciaux, très talentueux dans la relation humaine, qui ont inventé des animations qu’ils ont mis en place dans les établissements. Certains sont devenus Youtubeurs car nous avons créé un media Ninkasi. Ils s’éclatent, c’est eux qui le disent, car ils font des choses qu’ils n’auraient pas imaginé faire. Ils sont extrêmement performants dans le travail. Ce sont des ambassadeurs de la marque, ils rayonnent. Tout est lié.

Quand je dis qu’il faut vibrer, le message est « accueille tes émotions, sois toi-même, révèle qui tu es. Sommes-nous en capacité à t’aider à développer tout ce qu’il y a de beau en toi ? ». J’aime bien dire que nous avons été dans une société de l’avoir, la réussite c’est ce qu’on possède maison, voiture, montre…, je ne dis pas qu’il faut arrêter l’avoir mais que nous sommes allés trop loin dans une société de consommation.

Aujourd’hui ce qui est important c’est l’être, c’est tout ce qui ne vieillit pas en nous, notre capacité à s’émerveiller, à aimer, à apprendre, à savourer, à être pleinement connecté à ce qui nous entoure, à l’invisible, à l’instant présent. C’est cela que nous devons cultiver.

Je pense que l’entreprise est un endroit où nous devons permettre aux gens de continuer à grandir, à s’épanouir, à développer leur être. D’où le management fin, les questions sur le sens que chacun souhaite donner à sa vie : « est-ce qu’au Ninkasi je trouve un espace qui me permette d’être aligné ? ». Ce sont des choses nouvelles dans le cadre du management. Pendant longtemps nous avons été dans le registre de la compétence métier.

Nous abordons le sujet du vivre ensemble, des comportements, des règles de vie communes en disant qu’il s’agit d’un bien commun. Aujourd’hui faire respecter les règles de la maison est un sujet collectif qui ne relève pas que du manager.

Libérer la parole

Nous avons des règles toutes simples : par exemple, nous n’avons pas le droit de quitter une réunion sans que tout le monde se soit exprimé. Si moi Christophe Fargier, j’anime une réunion et que j’omets d’avoir fait parler tout le monde, tout un chacun a le droit -et même le devoir- de me dire « telle personne n’a pas parlé ». Si je suis irrespectueux et pas suffisamment à l’écoute, les gens doivent me le dire pour que je leur laisse un peu d’espace pour qu’ils s’expriment.

Je suis d’un tempérament très optimiste et j’ai besoin de travailler avec des gens qui ont le sourire. Quand j’ai le moral qui tombe un peu je me rends compte que cela a un impact énorme sur les équipes.

J’en viens désormais à partager mes craintes avec mon équipe rapprochée car j’ai besoin d’un espace pour les exprimer.

Cela ne me dérange pas de parler de « pièce de théâtre » à partir du moment où la pièce que l’on joue est bienveillante, qu’elle vise la performance collective ou individuelle. Rien n’est malsain.

Nous sommes tous des comédiens, j’en suis convaincu : quand je vais voir mon banquier pour financer une nouvelle usine, je lui vends du rêve, je lui dis que c’est génial, je suis un grand comédien et un stratège pour arriver à mes fins. Je vais faire exprès d’omettre ou minimiser certains risques, nous sommes tous comme cela, profondément subjectif. Ce qu’il faut c’est qu’il n’y ait pas de malveillance dans la pièce que nous jouons.

Raconte-moi une expérience dans laquelle tu t’es senti dépassé par tes émotions (ou tu as craint d’être dépassé) ?

Christophe Fargier : J’ai un très bon exemple au moment de la crise Covid. Quand le samedi soir, il a été annoncé que nous devions fermer tous nos établissements. Le lundi, nous avons organisé une réunion avec une vingtaine de responsables de l’entreprise et là je me suis senti dépassé.

J’étais en avance de phase, j’avais déjà digéré toutes les annonces et étais dans l’action : « il faut qu’on survivre, comment pouvons-nous nous adapter ? ». Alors que 80% de mon équipe était encore en phase de sidération, de peur. J’ai commis une énorme erreur, je me suis braqué, la situation m’échappait. J’ai commencé à être virulent et à m’adresser à certains de manière inappropriée.

Aidé par les managers

Heureusement, j’ai été sauvé par quelques-uns de mes collaborateurs qui m’ont dit « Christophe, tu ne vas pas être à ta place, laisse-nous gérer la situation opérationnelle. Nous avons besoin de continuer à avoir une vision stratégique, à anticiper, mais laisse-nous gérer les sujets opérationnels ».

Sur le coup, cela a été très dur, j’étais en mode survie, et lâcher le contrôle avec des équipes en décalage m’a déclenché un très grand moment de solitude, de désarroi. Je me suis senti en très grande fragilité, dépossédé.

Ils ont tellement eu raison. Cela a été dur mais j’ai laissé les choses se faire et leur réaction a été très bonne car j’aurai fait des dégâts.

Le tir a été corrigé : je suis bien entouré et mon équipe a su me dire « stop », cela a été possible car ils se sentaient autorisés à le faire.

Nous arrivons à fonctionner de cette manière parce que chaque fois qu’il y a un problème, nous évaluons, analysons et réalisons une autocritique.

Nous cherchons à apprendre de ce qui s’est passé : dire « pas de complaisance », maintenir une qualité de dialogue, n’importe qui doit se sentir autorisé à dire ce qu’il pense, à suspendre ses jugements, tout cela s’entretient.

Quelles sont tes techniques pour rester confortable dans des situations qui t’impactent émotionnellement ?

Christophe Fargier : J’aime beaucoup cette phrase « La raison se construit avec des émotions qu’on a laissé refroidir ».

C’est vraiment ce processus de refroidissement. Quand je sens que mes émotions me submergent, je crée les conditions pour les laisser refroidir, s’apaiser. C’est me dire : « c’est inapproprié, je suis encore trop dans l’agitation pour prendre une décision, je manque de lucidité » et prendre le temps.

Du sport et savourer les petits bonheurs !

Le sport m’aide aussi beaucoup. Je pratique la course à pied et les sports de montagne : ski de randonnée, alpinisme. Il m’arrive le vendredi de me sentir dépassé par une situation et de revenir le lundi en ayant relativisé et en y voyant clair. Partir un week end en randonnée, le samedi ça mouline, surtout en montée, et le dimanche j’ai réussi à décanter. Je ne suis plus dans la problématique. Souvent des associations se font et quelque chose émerge. Cela m’aide énormément à relativiser.

J’aime bien faire 45 minutes de sport avant mon petit déjeuner, je vais courir, voir le soleil se lever. Cette connexion  à la nature, au vivant permet de relativiser : qu’est-ce qu’il y a d’important dans ma journée ? le soleil en train de se lever. Je reviens, j’ai acheté un petit pain au chocolat, je vais réveiller mon fils et lui fais un gros câlin, et cela me permet de bien remettre les choses à leur place pour la journée.

Finalement, quand on dirige une entreprise on peut faire des montagnes de choses bénignes. Il y a vraiment cette nécessité permanente de dégonfler ce ballon de baudruche. C’est aussi un biais cognitif. Notre cerveau amplifie. Avoir ces petits rituels quand je me sens dépassé, que j’ai l’impression d’être submergé et que je ne vais pas y arriver : je me pose, je prends une demi-heure, je remets tout à plat en essayant d’avoir une vue exhaustive, de reprogrammer, reprioriser.

Je me rends compte que systématiquement la problématique a diminué simplement parce que j’ai pris le temps de regagner en lucidité et de reposer le problème de la manière la plus rationnelle possible.

Comment définis-tu l’épanouissement professionnel ?

Christophe Fargier : L’épanouissement c’est cette capacité que nous avons à mobiliser tout notre potentiel, tous nos talents, toutes les qualités que nous avons en nous et finalement à cultiver tout ce qui ne vieillit pas en nous.

Je suis heureux à 53 ans d’être quelqu’un qui continue à apprendre, à faire des rencontres extraordinaires, à m’émerveiller, à être curieux, optimiste, positif.

J’ai réussi à le cultiver jusqu’à présent et j’espère que j’arriverai à le cultiver le plus longtemps possible. Quand je vois des personnes qui ont 80 ans et décident d’apprendre une langue étrangère, je trouve cela magnifique !

Edgar Morin, 100 ans, apprend le japonais, il rayonne et est encore plein d’enthousiasme.

Comme évoqué, j’ai besoin de prendre du plaisir : c’est l’envie, l’épanouissement, le fait de participer à la construction d’un futur désirable.

La notion d’individuation

Il y a une notion que j’aime énormément, c’est la notion d’individuation : comment je me construis en tant que personne singulière, en interaction avec les autres, au service de quelque chose qui me dépasse.

J’ai besoin d’avoir le sentiment que le projet que je porte, même s’il m’apporte beaucoup de satisfaction, est au service de quelque chose qui va au-delà de moi, qu’il intègre le collectif et les enjeux de transformation de notre société.

C’est le concept du colibri, il faut rester modeste, nous avons une petite contribution. Je crois beaucoup au fait qu’aujourd’hui, peut-être pour la première fois dans l’histoire de la civilisation humaine. Nous allons être dans un mécanisme Bottom-up. Le changement va venir du plus grand nombre et plus d’une élite grâce à toute cette révolution technologique qui nous permet de travailler en réseau, qui rend les collaborations, l’échange d’information et le savoir extrêmement fluides.

Dans le monde de la restauration, nous avons beaucoup de collaborateurs qui étaient en échec scolaire et qui manquent donc de confiance en eux. J’insiste beaucoup et leur dis « Attention, ne pensez pas que vous avez des capacités limitées, vous avez été dans un système scolaire qui a sacralisé l’intelligence rationnelle, mais l’intelligence émotionnelle, l’intelligence manuelle, l’intelligence spirituelle, la créativité sont également là. Elles font partie des intelligences que nous avons tous, qui deviennent cruciales dans le monde qui s’ouvre et ne sont pas prises en compte dans notre système éducatif.

« Ne doutez pas de votre potentiel. Le système éducatif n’a regardé qu’une partie de ce que vous êtes et n’en tirez pas un jugement définitif sur ce que vous êtes« 

En conclusion …

Pour conclure, je considère que le meilleur investissement que l’on puisse faire dans une entreprise c’est d’investir dans ses collaborateurs. C’est un investissement immatériel pour développer leur savoir-être, leurs compétences techniques et aussi le vivre ensemble : c’est la cohésion qui compte.

Comment faire des équipes soudées, engagées et attachées au projet d’une entreprise, d’une organisation ? Tout cela n’est pas naturel, cela se construit mais il faut avoir une foi. J’invite tous nos managers à aimer les gens, à les prendre comme ils sont. Vous n’avez pas à juger qui ils sont. Chaque rencontre est une magnifique promesse. « Ce qui va se passer c’est aussi ce que vous allez en faire : quelle interaction, collaboration allez-vous construire avec cette personne qui vient d’arriver dans votre équipe ? Ayez conscience de votre propre responsabilité dans ce qui va s’écrire. »

Quand un manager me dit « Cela s’est mal passé avec cette personne parce qu’elle est comme ceci ou cela ». La question est « qu’est-ce que tu aurais pu faire de différent pour que cela ne se passe pas comme cela ? ».

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