Blog des sérials learners

PORTRAIT ÉMOTIONNEL #5 Témoignage de Renaud Sornin

Renaud Sornin

Fullémo réalise un recueil de témoignages permettant d’une part, de sensibiliser au rôle et à l’impact des émotions dans le travail et d’autre part, de libérer la parole émotionnelle en entreprise.

Il s’agit de répertorier les bonnes pratiques sous forme d’interviews écrites autour de six questions dont les réponses contribuent à l’éveil général.

Par ces partages d’expériences issues de tous types d’environnements, nous souhaitons diffuser des grilles de lecture, des trucs et astuces, des manières d’aborder les situations qui peuvent résonner et inspirer nos lecteurs.

Notre intention à travers ces éclairages est d’aider nos lecteurs à lutter contre la fatigue émotionnelle et favoriser leur épanouissement professionnel.

Renaud Sornin est co-fondateur d’Attestation Légale et a été Président de Lyon French Tech.

Renaud nous livre avec humilité ses moteurs et ses difficultés en tant que dirigeant d’une entreprise libérée. Il partage avec nous son regard et son vécu d’hypersensible et de la place dominante des émotions dans son quotidien.

Merci Renaud d’avoir joué le jeu de la sincérité et de l’authenticité !

1. Comment définis-tu ton métier ?

Renaud Sornin : Mon métier de président d’OFA, de dirigeant d’entreprise, c’est de dealer avec le futur.
Avoir la capacité d’anticiper l’avenir et de naviguer en incertitude dans laquelle on se trouve.

Cela consiste à être un chasseur de problèmes, être à la recherche de signaux faibles, avoir un coup d’avance en terme d’innovation et être à l’écoute du futur.

2. Quel est le sens que tu donnes à ton Job ?

Renaud Sornin : Je fais partie des gens qui ont besoin de beaucoup de sens. Le sens passe par la contribution au bien commun.
Dans la première partie de ma carrière chez Bouygues Construction, le sens était tourné vers mon ascension dans l’organigramme, la réussite. C’était une partie de vie centrée sur moi.

Avec la création d’entreprise, je me suis un peu décentré. Ma contribution au bien commun fait partie des choses les plus importantes comme l’explique l’effet colibri* : je veux apporter ma goutte.
Pour moi, au-delà de la performance et la réussite, il y a deux axes dans le sens : la contribution au bien commun et faire partie des éclaireurs
.

 *Commentaires de Mathilde Héliès sur l’effet colibri : La légende amérindienne raconte qu’un petit colibri se démenait seul pour éteindre un incendie de forêt goutte après goutte alors que tous les animaux étaient paralysés par la terreur. Au tatou qui lui faisait remarquer qu’il n’y arriverait jamais, le colibri répondit : « Je sais mais je fais ma part. » (source Le Parisien du 12 novembre 2015)

3. Quels impacts ont tes émotions sur ton travail ?

Renaud Sornin : spontanément je dirais que mes émotions ont un impact négatif car je suis un hypersensible et mes émotions prennent beaucoup de place, il m’est parfois difficile de les gérer.

Chez OFA on a placé l’authenticité comme valeur chapeau que j’illustre par une citation que j’aime bien : « Soyez moins spontané, vous serez plus authentique ». Cette phrase heurte les personnalités spontanées.

Il y a une croyance selon laquelle, si on commence à réfléchir, on perd en authenticité. Ce qui est absolument faux. C’est plutôt l’inverse.
C’est en réfléchissant posément, en ne subissant pas les émotions que je vais être capable d’être dans le vrai.

Une fois que j’ai fait ce chemin, les émotions deviennent un guide. J’arrive mieux à lire mes émotions et ce qu’elles veulent me dire. C’est un champ de lecture pour avoir la vérité. J’observe mes émotions plus que je ne m’y soumets.

À partir du moment où on arrive à se dissocier de ses émotions, qu’on a compris que nous ne sommes pas nos émotions, elles deviennent extrêmement puissantes. On ne subit plus l’émotion mais on la voit venir et on lui laisse la juste place.

 Je pense à la colère par exemple : soit on la subit et elle nous conduit à faire des choses que l’on regrette, du moins en ce qui me concerne, soit, on sait la voir venir et cela permet de la canaliser, de la faire monter ou descendre. Alors, il se passe des choses très intéressantes.

Oser les émotions ne me pose pas de problème, j’ai plus de difficultés à les canaliser. Pleurer, avoir des trémolos dans la voix c’est puissant, car la vulnérabilité peut être une force.

Comme je suis un hypersensible, il est très important de bien gérer mes émotions car elles me donnent beaucoup de capacités : elles m’éclairent sur ce qui est bon pour moi et m’aident à aller où je souhaite.

4. Raconte-moi une expérience dans laquelle tu t’es senti dépassé par tes émotions (ou tu as craint d’être dépassé) ?

Renaud Sornin : Une expérience me vient en tête.
Chez OFA, on essaie d’avoir une organisation à plat, de considérer chacun, de lui donner sa place. Néanmoins, parfois, nos collaborateurs confondent « être traité avec respect et équité » et « avoir tous le même traitement ».

Or, il est nécessaire de traiter les personnes différemment dans l’entreprise, selon l’importance de leur job, leur accès à tout ou partie de l’information, ou si leur job est plus ou moins critique. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne doit pas respecter chacun. Le résultat de notre organisation libérée est que des collaborateurs ont cru que tous devaient être traités de manière identique.

Les dirigeants de l’entreprise ont fini par se faire traiter mal, du moins pas à la hauteur de leurs besoins car les collaborateurs comprenaient que les dirigeants étaient comme tout le monde. Or, ils ne doivent pas être traités comme tout le monde, avec le même respect, oui, mais pas « comme tout le monde ».

J’ai souvenir d’une expérience, avec une personne du service informatique qui ne s’occupait pas de mes problèmes, les considérant de même importance que ceux d’autres collaborateurs. Après lui avoir demandé posément plusieurs fois, avoir essayé à plusieurs reprises de trouver le bon mot pour expliquer que son retard était critique pour moi, je me suis mis en colère avec beaucoup de force. Je me suis énervé très violemment, en public. Lui aussi s’est énervé et le conflit est monté.

L’entreprise est très sensible à ce genre d’événement : sur la forme c’est contraire à nos valeurs. Cela a donné lieu à une convocation par le comité de direction devant lequel j’ai dû m’expliquer. Une expérience assez compliquée tant pour moi que pour l’entreprise.

Le moment de la colère a été le plus dur pour moi car soit je maîtrise la colère et cela se passe bien, soit la colère éclate, je ferme les écoutilles, je n’ai plus aucune sensibilité et c’est très violent. D’autant plus qu’on me connaît comme quelqu’un de « gentil ».

Ensuite ce qui était compliqué était de trouver la parole juste pour expliquer le chemin qui m’avait conduit à la colère. La forme n’était bien évidemment pas la bonne mais ma colère était justifiée. De manière générale, après une colère je n’ai aucun problème pour aller m’excuser cinq minutes après. Mais là je ne voulais pas m’excuser. Je voulais expliquer en quoi l’entreprise faisait fausse route : on ne peut pas traiter un dirigeant de la même manière qu’un opérateur téléphonique. On doit le même respect, mais pas le même niveau de service. La demande d’un dirigeant prime sur les autres. Ce qui porte préjudice à un dirigeant n’a pas le même impact. J’ai dû expliquer comment cette perte de contrôle était dûe un cheminement, une série d’événements.

C’était une expérience très enrichissante : cet événement a permis de formaliser : « même respect mais pas même importance ». Cela a aidé à ce que les dirigeants soient mieux traités, que l’on prenne soin d’eux. L’entreprise libérée met le dirigeant dans une position difficile et il a besoin de soutien.

5. Quelles sont tes techniques pour rester confortable dans des situations qui t’impactent émotionnellement ?

Renaud Sornin : La première chose est de parvenir à exprimer en début de réunion l’état émotionnel dans lequel je suis. Par exemple, je suis énervé car je suis en retard, je ne suis pas en forme… je vais donc faire avec, mais mon interlocuteur le sait et n’en fait pas une affaire personnelle. Cela aide énormément.

La pratique des 4 accords toltèques – que ta parole soit impeccable, fais toujours de ton mieux, n’en fais jamais une affaire personnelle, ne fais aucune supposition – est essentielle.

Les deux émotions les plus compliquées pour moi sont la tristesse que je ne m’autorisais jamais, et la colère. Je m’autorise désormais la tristesse pour faire le deuil des phases difficiles et j’ai compris que la tristesse a un grand pouvoir. J’arrive à avoir une colère dans une parole impeccable. Une colère domptée, pas bridée : « je suis en colère et voici pourquoi… ». La colère gérée comme cela est extrêmement puissante.

L’axe de progrès pour moi est d’arriver à comprendre l’impact émotionnel des mots sur l’autre. J’ai beaucoup de capacités pour voir en moi-même et beaucoup moins pour voir en l’autre car je projette beaucoup. Je suis très extraverti et très centré sur moi. Le décentrement permet d’éviter de faire des projections sur les autres en fonction de ses expériences, de son état émotionnel.

Pour les extravertis comme moi, le décentrement est un très joli chemin.

Pour l’entreprise elle-même qui est très narcissique, le chemin de développement est aussi de se décentrer et de devenir une partie de son écosystème et non pas son écosystème.

6. Comment définis-tu l’épanouissement professionnel ?

Renaud Sornin : Le mot qui vient juste après épanouissement, c’est accomplissement. Je pense qu’on a tous envie de s’accomplir, de faire face à notre destinée, à ce qu’on aspire à devenir. La première chose consiste à répondre à cette aspiration « deviens qui tu es ». L’épanouissement professionnel passe par là.

Il y a eu un changement de modalité très intéressant :

Avant, l’entreprise avait ses standards, on était dans un damier, on arrivait « rond » et en quatre coups de ciseaux « on rentrait dans les cases », et cela fonctionnait bien. Chacun laissait ce qui était rond à l’extérieur de l’entreprise. Les entreprises performaient avec pour axiome de base : on n’est pas le même dans l’entreprise et dans la vie. Cela a changé.
Les gens veulent désormais être dans l’entreprise tels qu’ils sont. Cela devient donc un puzzle : il faut assembler les pièces sans les couper et cela avec des aspirations très différentes.

Le deuxième élément de l’épanouissement professionnel repose sur la qualité des relations humaines mises en œuvre. J’aime rappeler l’histoire du petit dragon qui est sur le dos d’un panda. Le dragon demande : «Qu’est-ce qui est le plus important, le voyage ou la destination? – Ni l’un ni l’autre, c’est la compagnie. » répond le panda. (Big Panda & Tiny Dragon de James W Norbury)

Les personnes avec lesquelles tu travailles, la qualité des relations, la compatibilité des personnes, des valeurs et des projets sont sources d’épanouissement.

A partir du moment où on souhaite arriver dans l’entreprise comme on est, il faut aussi accepter que l’entreprise ne puisse pas intégrer ce que tu es et affirme que : « ton aspiration professionnelle est très jolie mais elle n’a pas sa place dans l’entreprise ». C’est très violent, car si on autorise les gens à venir tels qu’ils sont, ils s’épanouissent profondément. Mais, si tu leur dis que finalement l’aventure n’est plus possible, la séparation est plus compliquée. Du coup, les gens ont peur de venir par crainte de quitter l’entreprise qui est devenue une famille dont ils n’osent plus sortir.

Accomplissement personnel, qualité des relations humaines mais aussi réalisation des objectifs et projets communs sont les sources de l’épanouissement professionnel.

En conclusion, je trouve que l’intelligence émotionnelle aide considérablement à se comprendre soi-même, donc à aller vers l’autre dans sa différence et ainsi à mieux se comprendre car plus on va dans l’altérité plus on se comprend soi-même. C’est une première étape nécessaire.

Il y a ensuite l’intégration de l’environnement par l’intelligence situationnelle, c’est à dire comprendre à la fois ses émotions, celles de l’autre mais aussi la situation dans laquelle on est « est-ce le bon moment? le bon endroit ? » pour s’adapter dans une logique d’ouverture au monde qui est très importante.

Une fois qu’on maîtrise l’intelligence émotionnelle, l’intelligence relationnelle, la connaissance de soi, il faut savoir intégrer l’environnement ambivalent, incertain, changeant. Cette étape vient après.

Un bon manager sait bien gérer ses mouvements, sait comprendre et ne pas se projeter sur l’autre. Il sait être attentif aux difficultés et en même temps, il est capable de se nourrir de son environnement et de voir dans quelle mesure cela impacte ses choix.

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