Blog des sérials learners

PORTRAIT ÉMOTIONNEL #49 Témoignage de Bénédicte Durand Deloche

Libérer la parole émotionnelle en entreprise

Fullémo réalise un recueil de témoignages permettant d’une part, de sensibiliser au rôle et à l’impact des émotions dans le travail et d’autre part, de libérer la parole émotionnelle en entreprise.

Il s’agit de répertorier les bonnes pratiques pour contribuer à l’éveil général.

Par ces partages d’expériences issues de tous types d’environnements, nous souhaitons diffuser des grilles de lecture, des trucs et astuces, des manières d’aborder les situations qui peuvent résonner et inspirer nos lecteurs.

Notre intention à travers ces éclairages est d’aider nos lecteurs à lutter contre la fatigue émotionnelle et favoriser leur épanouissement professionnel.

Pour en savoir plus sur les motivations à l’origine de ce recueil de témoignages : cliquez ici

Témoignage de Bénédicte Durand Deloche

Bénédicte Durand Deloche est Directrice Générale du groupe industriel Altheora. Passionnée par son travail, Bénédicte aspire à être moteur d’un projet plus grand qu’elle. Elle souhaite apporter de la valeur sur le territoire à travers l’industrie.

Elle est convaincue que l’industrie est un des secteurs permettant tant l’épanouissement professionnel que l’ascension sociale.

C’est une femme engagée que vous allez découvrir, notamment dans la décarbonation.

Bénédicte apporte son regard sur la mixité en entreprise :

« que ce soit une femme ou un homme à la tête, ce qui importe, c’est que derrière, il y ait une mixité dans l’équipe de direction. »

Elle nous explique aussi comment elle s’appuie au quotidien sur ses émotions et son intuition.

Peux-tu te présenter ?

Bénédicte Durand Deloche : J’ai 43 ans, je dirige un groupe industriel, Althéora et j’adore mon job !

Je suis arrivée dans l’entreprise en janvier 2015 et j’ai repris la direction générale il y sept ans, en novembre 2016.

Aujourd’hui, je commence à déployer et à mettre en œuvre ce que j’imaginais faire initialement en un an, quand j’ai repris la direction. Je pensais pouvoir aller beaucoup plus vite. Le frein a été principalement humain, il relève de la conduite du changement, nous partions de loin.

Le Groupe Altheora conçoit et transforme des pièces complexes en matériaux composites ou polymère pour 2 industries : la mobilité (hors automobile grande série) et la construction.

Le projet du groupe est d’accompagner nos clients sur des solutions décarbonnées ou bas carbone. En effet, nous considérons que l’industrie en France et en Europe est la première réponse à la décarbonation.

Comment définis-tu ton métier de dirigeante ?

Bénédicte Durand Deloche : Mon rôle, c’est la stratégie évidemment, mais également sa mise en œuvre et de l’articuler du mieux possible. Je me définis comme chefFE d’orchestre

J’aime l’idée d’être au cœur, je ne dirais jamais « je suis à la tête de… », mais « je suis au sein de… ».

Quel est ton regard sur les quotas ?

Je suis contre ! Parce que les quotas enferment dans des cases. Mettre des quotas dans les écoles pour que l’accès soit possible, pourquoi pas ? Je pense notamment aux formations techniques où il y a très peu de filles aujourd’hui. Je suis issue d’une éducation et d’une époque où être ingénieur pour une fille n’était pas envisageable, ce n’était pas quelque chose qu’on proposait.

C’est encore le cas aujourd’hui pour toute filière scientifique, technique, avec un bémol sur le médical. La construction de notre éducation fait que ces secteurs sont peu dans le champ des possibles d’une fille. C’est là où il faut un quota, pour cette entrée.

Les quotas permettent d’aller plus vite mais ne sont pas sains. Aujourd’hui, dans nos gouvernances d’ETI ou de groupe avec des gouvernances à conseil d’administration, le stéréotype c’est une femme administratrice indépendante en charge du comité RSE. On ne confiera jamais cette mission à un homme et cela, moi, cela me choque !

Être une femme dirigeante dans un environnement très masculin, est-ce un atout ou un frein ?

J’ai toujours dit que c’était un atout.

C’est un atout parce que déjà, en toutes circonstances, nous n’avons pas la même vision que les hommes. Je pense que la mixité dans l’environnement de travail est indispensable.

Donc que soit une femme ou un homme à la tête, ce qui importe, c’est que derrière, il y ait une mixité dans l’équipe de direction.

Une femme apporte un regard différent, nous sommes plus intuitives.

Être une femme dirigeante est un atout et une responsabilité parce qu’on en attend davantage de moi et qu’il faut que je m’en serve à bon escient.

Dans tous les cas, c’est un atout en termes de visibilité.

Ce serait quoi s’en servir à mauvais escient pour toi ?

Ce serait ne pas être sur le registre de la compétence mais le registre de la séduction. C’est un fil qui est très ténu et auquel je fais très attention : assumer ma féminité, oui, m’en servir sur un registre séduction, jamais.

La problématique, c’est que nous n’avons pas de rôle model de femme dirigeante. Les seuls rôles models que nous avons, ce sont des femmes qui ont pris des codes masculins et qui ont enfoui toute leur part féminine.

Quel est le sens que tu donnes à ton job ?

Bénédicte Durand Deloche : Le sens de mon job, c’est l’utilité.

Le sens vient de la fierté que je retire de mon job.

J’ai toujours défendu l’industrie qui représente le territoire, la nation, les notions de souveraineté et de compétences. Pour moi, l’industrie est un des rares domaines aujourd’hui dans lequel on peut avoir une véritable promotion sociale. C’est donc un lieu d’épanouissement pour les collaborateurs et un lieu d’ascension.

Enfin pour le sens, je reviens sur l’humain : si mes collaborateurs sont épanouis, j’y trouve du sens et cela me rend fière.

Quels impacts ont tes émotions sur ton travail ?

Bénédicte Durand Deloche : J’essaie d’avoir une posture différente en fonction des personnes auxquelles je m’adresse.

Dans un environnement industriel et dans mon rôle de dirigeante, quand je m’adresse à un opérateur ou dans les ateliers, je veux laisser le moins de place possible à mes émotions.

Je m’efforce de ne pas exprimer mes émotions, ce qui ne veut pas dire manquer de franchise puisque je dis toujours ce que je pense.

Dans mon mode d’expression émotionnelle, je veille à ne pas avoir d’amplitudes importantes. Concrètement, cela signifie qu’à un moment donné, si je me suis levée du mauvais pied le matin, ce qui arrive à tout le monde, j’avale deux cafés serrés et j’y vais et avec le sourire !

Ce n’est pas à mes collaborateurs d’endosser mes émotions.

Pour laisser aller une émotion face aux collaborateurs dans les ateliers, il faut qu’elle puisse être partagée avec eux et compréhensible. C’est-à-dire que si c’est un facteur qui me met en joie à titre personnel, mais qui ne signifie rien pour eux, je le garde pour moi.

Je veille à me mettre dans un certain état de neutralité et surtout à limiter les oscillations.

Avec le COMEX, là pour le coup, j’ai moins de carapace. Je laisse davantage mes émotions s’exprimer, mais toujours en fonction de leur valence (agréable, désagréable). Si je prends l’émotion de la peur, il faut vraiment que j’ai peur pour leur communiquer de la peur. J’estime que c’est aussi mon rôle de poser un filtre sur mes émotions, c’est mon job et je ne dois pas tout laisser passer.

Je considère que je dois être un catalyseur, que je dois retenir certaines émotions parce que les collaborateurs n’ont pas à être des éponges face aux émotions du dirigeant.

Je suis très attentive à ne pas surcharger mes équipes d’émotions qui ne sont pas les leurs. S’il s’agit de mes émotions, je les garde pour moi, cela ne concerne que moi.

Dans quelle mesure intègres-tu les émotions de tes collaborateurs dans ton management ?

Bénédicte Durand Deloche :Je suis très attentive aux émotions des autres. J’ai quelques clés de lecture qui me permettent de lire les émotions des autres grâce à ma sensibilité et mon intuition. Ces deux éléments sont mes radars.

Ma sensibilité se retranscrit dans la stratégie et on la perçoit dans nos manières de fonctionner. Je pense que cette sensibilité transpire, j’espère d’ailleurs qu’elle transpire !

Au sein du COMEX, j’essaie, dans la mesure du possible, de ne pas mettre l’autre dans une position désagréable, voire inconfortable. Je me considère (et rappelle régulièrement à l’équipe) que je suis un membre du COMEX comme les autres. A ce titre, je fais attention à l’équilibre du temps de parole, je veille par exemple à ce que chacun puisse s’exprimer.

Je suis dans un environnement très masculin et ce n’est pas toujours facile parce que ces messieurs ne sont pas toujours très enclins à exprimer leurs émotions. Il est parfois difficile de faire en sorte qu’ils expriment leurs émotions ou leur sensibilité.

Pourtant, dans ma carrière, j’ai eu plus d’hommes qui ont pleuré dans mon bureau que de femmes. Quand un homme lâche ses émotions, il lâche tout, peut-être parce qu’il est sur un terrain de confiance. Je ne sais pas si cela tient au fait que je suis une femme.

Raconte-moi une expérience dans laquelle tu t’es sentie dépassée par tes émotions (ou tu as craint d’être dépassée) ?

Bénédicte Durand Deloche : Je n’ai pas trouvé d’exemple. En fait, je travaille beaucoup sur moi pour ne pas me faire dépasser.

Auparavant, je me suis laissée dépasser et j’en ai sans doute souffert. J’étais trop transparente sur mes émotions. C’est pour cela que j’ai beaucoup bossé sur moi pour mieux me connaître, être à la bonne place et au bon niveau afin de ne pas déstabiliser ceux qui travaillent avec moi.

Dans ma vie d’avant, lorsque j’étais salariée, je ne mettais pas de filtre sur mes émotions, quelles qu’elles soient. A un moment donné, j’ai poussé trop loin certains collaborateurs. Parfois, je suis allée les chercher sur des registres qui étaient trop douloureux pour eux.

C’est arrivé dans des situations managériales où j’étais déçue par leur attitude de manager vis-à-vis de collaborateurs ou par leur posture. J’ai pu être extrêmement dure. J’ai mis des personnes en difficulté au lieu de les accompagner à traverser ces épisodes-là. Cela m’est arrivé plusieurs fois. La déception pouvait me pousser à avoir des mots durs, très durs. C’est ce que j’ai appris à canaliser avec l’expérience.

De toutes façons, je suis très exigeante. Et la première exigence, je l’ai vis-à-vis de moi-même. Mais je le suis évidemment aussi vis-à-vis de mes collaborateurs ce qui nourrit forcément des émotions pour moi et pour les autres. Cela met malgré tout un niveau de pression important. Je le reconnais et je ne veux pas mettre mes collaborateurs en difficulté.

Quelles sont tes techniques pour rester confortable dans des situations qui t’impactent émotionnellement ?

Bénédicte Durand Deloche : La première chose, c’est d’essayer d’être le mieux possible dans ma tête et dans mon corps.

Cela passe par du sport, de la méditation, prendre soin de moi. Chaque matin je prends une demi-heure pour moi.

Selon les jours et ce qui va se passer dans la journée, je vais chercher différentes énergies. Intuitivement, je vais avoir telle ou telle pratique : hier matin, j’avais besoin d’aller courir, j’avais besoin de donner.

Ce matin, je voulais plutôt être apaisée : j’avais une réunion avec les responsables de sites, je voulais assurer ma capacité d’écoute, de recevoir, j’ai pratiqué une demi-heure de yoga. Et demain matin, je ne sais pas, je n’ai pas encore ma journée en tête.

Une autre chose, que je dis et pratique, c’est qu’à un moment donné, si la gestion d’un sujet peut déborder, on appuie sur pause et on reprend le sujet plus tard. On lance le parachute et on y revient. C’est valable pour eux comme pour moi. Certains peuvent me dire en riant : « là, va courir, va prendre l’air Béné ».

Pour moi, ce qui est difficile à gérer, c’est la notion de patience, la notion de temps, parce qu’elle fait naître énormément d’émotions. J’ai un tempérament où je vois les solutions, je ne vois pas les difficultés. Une fois les choses annoncées, globalement pour moi c’est à peu près terminé. Cela génère de la frustration pour moi et en face de l’incompréhension.

C’est là où les émotions sont activées. J’ai appris à tourner sept fois ma langue dans ma bouche, à être plus patiente, à poser les choses, puis, à écouter

Plus jeune, j’étais potentiellement extrêmement hermétique. Aujourd’hui, j’écoute et je suis même passée de l’autre côté, très en attente, en récepteur de tous les signaux que je peux capter. Et je mets mon intuition et ma sensibilité à ce service.

Comment définis-tu l’épanouissement professionnel ?

Bénédicte Durand Deloche : Ce qui m’épanouit dans mon job, c’est être acteur et moteur d’un projet qui est plus grand que nous.

C’est la création de valeur sur les territoires, notre contribution directe et indirecte. C’est cela qui me motive le matin.

C’est de l’humain avant tout, même si évidemment, il y a une valeur économique. Il n’est pas possible d’être entrepreneur sans valeur économique. Mais c’est la valeur humaine qui sous-tend la valeur économique.

L’épanouissement professionnel, c’est d’avoir la capacité de créer celui qu’on voudrait être demain. C’est beaucoup d’idées, c’est l’innovation, c’est faire différemment, voilà ce qui m’épanouit. Et puis, contribuer à un monde meilleur, c’est le préambule.

En conclusion

Il y a de la place pour les émotions dans l’entreprise. Il faut juste que ce soit partagé par tout le monde.

Je pense que l’entreprise n’est pas le lieu de la censure émotionnelle. Il faut rester au bon niveau d’émotion et faire en sorte que chacun soit suffisamment en cohérence avec lui-même.

Cela nécessite évidemment de bien se connaître, ce qui n’est pas la chose la plus évidente. Cela prend du temps et est exigeant. Essayer, chaque fois, de faire du mieux possible, c’est le mieux qu’on puisse faire !

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