Témoignage de Clarence Thiery
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Pour à la fois sensibiliser au rôle et à l’impact des émotions dans le travail mais aussi libérer la parole émotionnelle, Fullémo réalise un recueil de témoignages sincères et authentiques.
Il s’agit de répertorier les bonnes pratiques sous forme d’interviews écrites autour de six questions dont les réponses contribuent à l’éveil général.
Par ces partages d’expériences issues de tous types d’environnements, nous souhaitons diffuser des grilles de lecture, des manières d’aborder les situations qui peuvent résonner et inspirer nos lecteurs et ainsi favoriser leur épanouissement professionnel.
Pour en savoir plus sur les motivations à l’origine de ce recueil de témoignages : cliquez ici
Clarence Thiery dirige Sydo, société de conseil en pédagogie innovante et est co-fondatrice de l’école Le Bahut, école de formation de Digital learning managers.
Clarence explique comment elle a construit son métier autour du plaisir de faire et de partager avec son équipe qui fonctionne comme « une bande de potes ».
Pour Clarence, « l’épanouissement professionnel est un mix entre j’aime les tâches que je fais, j’aime les gens avec lesquels je les fais et je suis en accord avec la vision de là où on va. »
Merci Clarence pour cet échange !
1. Comment définis-tu ton métier ?
Clarence Thiery : Mon métier est de donner envie d’apprendre. C’est assez large comme vocation. Le travail de Sydo est de trouver les meilleurs moyens quels qu’ils soient pour capter l’attention des gens, leur faire comprendre des choses compliquées et faire en sorte qu’ils les mémorisent à long terme.
C’est un croisement entre la communication pour donner envie, que ce soit par l’humour, l’esthétisme, la surprise des dispositifs imaginés qui cassent un peu les codes, qui créent des ruptures par rapport à ce qu’ils ont l’habitude de voir et la pédagogie.
Nous avons du contenu un peu dense, un peu ennuyeux, complexe à faire comprendre, il faut voir comment le décortiquer, le trier pour le rendre accessible au plus grand nombre.
Les clients peuvent être de gros laboratoires pharmaceutiques, des associations de patients, des banques, des assurances, des collectivités… C’est très large puisque c’est dès que les organisations ont des choses complexes à expliquer. Les secteurs sont la finance, la santé, la prévention des risques…
2. Quel est le sens que tu donnes à ton Job ?
Clarence Thiery : C’est mon plaisir, ce qui a été mon objectif dès le début. Je choisis un peu mes clients, mes collaborateurs et ce que nous faisons. La définition de ce que nous faisons est tellement large que cela peut être beaucoup de choses très différentes. S’il y a de l’ennui quelque part, nous allons ailleurs. Cela n’a pas tellement de limite sauf celles que je veux bien me mettre.
Le plaisir est d’abord venu des sujets que j’adressais quand j’étais opérationnelle et que je travaillais sur les contenus. Tous les types de sujets deviennent intéressants car nous avons affaire à des experts métiers passionnés par ce qu’ils font et ce qu’ils peuvent nous apprendre. Il faut se pencher sur plein de sujets différents, les comprendre et ensuite les décortiquer pour d’autres. J’arrivais à me passionner sur tout car je suis curieuse. Je retirais du plaisir de l’apprentissage et de la diversité mais surtout de l’échange avec des gens passionnés.
Aujourd’hui, le plaisir vient de l’équipe et de donner du plaisir à mon équipe. Que chacun soit épanoui dans ce qu’il fait, prenne du plaisir à faire ce qu’il fait et à travailler ensemble. Qu’il y ait de vraies amitiés qui se créent et que le travail soit une zone de sécurité pour les collaborateurs : si quelque chose ne va pas à la maison, qu’ils soient contents de venir travailler.
3. Quels impacts ont tes émotions sur ton travail ?
Clarence Thiery : Je ne me rends pas compte, je suis assez entière, donc je viens au travail avec mes émotions, je pleure souvent au travail plus particulièrement en ce moment car je suis enceinte !
Je suis sensible. Ce qui me fait pleurer bizarrement, ce sont les compliments. Je suis très à l’aise avec le fait de dire les choses, j’adore les conflits. Les conflits me permettent de me prouver que je suis forte à ce jeu-là. Quand il y a un problème avec des clients c’est moi qui gère, cela ne me dérange pas et je crois que j’aime même un peu ça.
Cependant, en effet je ne suis pas à l’aise avec les compliments, par exemple les compliments de collaborateurs en réunion qui peuvent me faire pleurer assez facilement, cela peut être compliqué et également quant à mon tour je dois faire des compliments.
Nous sommes vingt-cinq, la plupart des collaborateurs sont des amis, je les connais depuis longtemps, je connais leur vie, je connais leurs problèmes, je les traite comme des copains, si ça ne va pas nous allons en parler dehors et gérons ensemble leurs problèmes professionnels ou personnels. Si un client pose un problème, je vais « défendre mes petits ».
Je suis avec une équipe où il y a beaucoup d’émotionnel, chacun s’investit beaucoup. Donc forcément il y a des moments de surchauffe. Il n’y a pas trop de tensions au sein de l’équipe, beaucoup d’aide. En revanche, il peut y avoir des tensions avec des clients pas sympas.
Je suis très à l’écoute de l’état émotionnel de chacun, je considère que cela fait partie du job.
Chacun sait pourquoi à un moment donné, une personne va moins aider, qu’elle est moins disponible. Si quelqu’un ne le sait pas, on essaie de le lui dire pour qu’il comprenne. J’intègre les différents pans de vie de mes collaborateurs. Je tiens compte de ce qu’ils vivent au niveau personnel pour réguler les charges de travail. Cela fonctionne aussi comme ça entre eux.
Chacun exprime ses émotions selon son caractère, moi y compris, surtout que je suis entière. Je ne crains pas d’être faible, je ne me sens pas dans un rôle de dirigeante à tenir. Peu d’amis dirigeants comprennent pourquoi je suis aussi proche des personnes que je manage.
Je peux aussi faire peur, on me l’a souvent dit car je n’hésite pas à dire les choses. Quand quelque chose ne va pas je suis sanguine, je n’hésite pas à verbaliser si je trouve cela nul. Ce côté franc peut faire peur.
4. Raconte-moi une expérience dans laquelle tu t’es sentie dépassée par tes émotions (ou tu as craint d’être dépassée) ?
Clarence Thiery : J’ai eu un moment difficile où j’ai deux collaboratrices qui sont parties. Pour l’une c’était plutôt une bonne chose, pour l’autre moins. Surtout je n’avais jamais eu de personnes qui étaient parties de manière « formelle », comme elles l’auraient fait avec n’importe quel autre employeur. C’était nouveau et cela m’a fait un choc et a provoqué une remise en question.
J’ai fait le constat qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas, qu’il fallait réagir. J’avais accouché depuis peu et j’avais dû rester allongée pendant ma grossesse. Pendant cette période, une personne a pris un peu trop d’ampleur, a mis une mauvaise ambiance et j’ai voulu trop la ménager. Quand je suis revenue de mon congé maternité, l’ambiance de la boite était un peu compliquée. J’ai organisé une réunion de crise avec tout le monde. C’est mon associé qui a pris la parole car je sentais que c’était moi qui étais remise en question.
Je ne savais pas encore ce qu’il fallait faire, je me sentais en crise de légitimité. Je suis alors partie en vacances et cela m’a permis d’analyser ce qu’il s’était passé, de repenser la société, de faire un plan d’actions et depuis Sydo n’a jamais été aussi bien.
Cela a été la seule fois où j’ai tout remis en question. Repenser les choses autrement, je me suis prise au jeu et finalement c’était un mal pour un bien.
5. Quelles sont tes techniques pour rester confortable dans des situations qui t’impactent émotionnellement ?
Clarence Thiery : Attendre le lendemain, essayer de ne pas réagir à chaud.
Appeler mon mec, des copines, en parler et pouvoir avoir une réaction un peu plus réfléchie. Si c’est un sujet « humain », ce sont plutôt les copines, si c’est « boulot » c’est plutôt mon mec.
Sinon je débranche, j’anesthésie mon cerveau avec une série Netflix.
Si je sens un collaborateur dépassé par ses émotions, intuitivement je vais l’aider à relativiser, “il n’y a pas d’enjeu, pas de mort à la clé”, leur dire qu’ils maîtrisent bien plus qu’ils ne pensent, qu’ils sont meilleurs que ce qu’ils pensent, les rassurer, les encourager. Je le fais assez naturellement. Je suis assez sûre d’eux. Si je les envoie face au client c’est que je sais qu’ils maîtrisent complètement leur job. Leur panique est plutôt positive, cela montre qu’ils donnent tout ce qu’ils ont. Qu’ils soient un peu inquiets me rassure, c’est une marque d’engagement et de sérieux de leur part. Je serai plus inquiète de les voir nonchalants.
6. Comment définis-tu l’épanouissement professionnel ?
Clarence Thiery : L’épanouissement professionnel est un mix entre j’aime les tâches que je fais, j’aime les gens avec lesquels je le fais et je suis en accord avec la vision de là où on va.
Aujourd’hui je me sens épanouie, comme je l’ai quasiment toujours été. Je ne me suis jamais ennuyée. Cela fait treize ans que j’ai créé Sydo, je n’ai jamais connu autre chose, je n’ai jamais fait la même chose, toujours avec des gens différents. On se réinvente tout le temps, on a tout le temps de nouvelles idées, on a fait des BD, des vidéos, du jeu, des Learning Management System (LMS)… On réalise des projets très variés qui nécessitent des compétences différentes. C’est très diversifié, je ne vois pas comment on peut s’ennuyer !
Prochainement, je pars vivre un an au Canada, ce qui va être compliqué, c’est d’être éloignée de l’équipe. Ne pas les voir autrement que par écrans interposés et surtout ne pas profiter des discussions de la machine à café. Cela va sûrement me manquer quand je serai toute seule devant mon ordinateur.
A partir du moment où on a conscience qu’on travaille avec des êtres humains, forcément, il faut faire avec les émotions, positives ou non. J’y accorde beaucoup d’importance parce qu’on ne travaille pas bien quand on n’est pas dans le bon mood. Je ne peux pas demander aux gens d’être à cent pour cent tous les matins.
Chez Sydo, tout le monde s’aime et se sent libre de s’exprimer, « on ne laisse pas un copain dans la merde ». Depuis la crise et la réorganisation, il n’y a eu aucun départ. Je recrute encore mais on est entre vingt et vingt-cinq depuis longtemps.
Simplicité, authenticité, bienveillance, respect des uns des autres et puis s’aimer, c’est notre recette qui fonctionne bien jusqu’ici.
Dans les recrutements que je mène, il y a cinquante pour cent de compétences et cinquante pour cent de “est-ce que je peux m’entendre avec cette personne ? Est-ce que l’équipe aura plaisir à la voir au quotidien ?”. J’ai besoin du ressenti de l’équipe pour savoir si la personne est sympa, si cela va fonctionner.
Très souvent, les personnes de l’équipe présentent des amis candidats. Par exemple, je cherchais un développeur, un collaborateur a présenté un ami, et du coup je n’ai même pas fait d’entretien d’embauche : je savais quelles études il avait fait, qu’il était bon et les potes de mes potes, je sais que cela marche ! Il y a beaucoup de cooptation.
La valeur qui nous lie c’est la solidarité. Une fois qu’on est dans la famille, on ne va pas se mettre de bâton dans les roues, on peut être vexé par une réflexion mais pas plus. Les petits nouveaux ont une période d’essai pour rentrer dans la famille.