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PORTRAIT ÉMOTIONNEL #23 Témoignage de Bernard de Mulatier

Bernard de Mulatier Fullémo

Témoignage de Bernard de Mulatier

Fullémo réalise un recueil de témoignages permettant d’une part, de sensibiliser au rôle et à l’impact des émotions dans le travail et d’autre part, de libérer la parole émotionnelle en entreprise.

Il s’agit de répertorier les bonnes pratiques sous forme d’interviews écrites autour de six questions dont les réponses contribuent à l’éveil général.

Par ces partages d’expériences issues de tous types d’environnements, nous souhaitons diffuser des grilles de lecture, des trucs et astuces, des manières d’aborder les situations qui peuvent résonner et inspirer nos lecteurs.

Notre intention à travers ces éclairages est d’aider nos lecteurs à lutter contre la fatigue émotionnelle et favoriser leur épanouissement professionnel.

Pour en savoir plus sur les motivations à l’origine de ce recueil de témoignages : cliquez ici

Bernard de Mulatier est président directeur général de Diatex, de Tissage des Mures et CIPODEC. Comme tous les membres de l’Advisory Board de Fullémo, Bernard est passé au tamis de nos questions 100% émotionnelles.

Bernard est un fervent défenseur du Made In France, un engagement qui le mobilise pleinement. Il est aussi fortement engagé dans la cohérence sociale et environnementale et le bien-être de ses équipes.

Merci Bernard de nous livrer avec tant d’authenticité l’ADN que tu véhicules chez Diatex !

1. Comment définis-tu ton métier ?

Bernard de Mulatier : Mon métier est un métier d’équilibriste à tendance bâtisseur. On est toujours à la recherche de l’équilibre entre différentes activités : le social, l’environnement, les actualités mondiales (Guerre, Covid…) qui tendent à déstabiliser le petit château de cartes sur lequel j’ai tous les éléments bien alignés !

Il faut faire en sorte que le château ne prenne pas le vent, s’assurer que tout ce que je construis soit solide malgré les perturbations qui nous entourent. C’est le fameux équilibre que je cherche, le côté isostatique en mécanique, on est souvent hyperstatique, ou hypostatique : au final on obtient une chaise à quatre pieds un peu bancale, à deux pieds dangereuse, au lieu d’une chaise à trois pieds qui ne sera jamais bancale.

Au-delà même de la notion d’équilibriste, il faut arriver à créer de la stabilité dans cet environnement. C’est une quête importante pour un patron de société.

2. Quel est le sens que tu donnes à ton Job ?

Bernard de Mulatier : Depuis très longtemps, le sens que je donne à mon job est de défendre les intérêts du Made In France.

Dans nos activités tout n’est pas 100% fabriqué en France, cela n’est pas une fin en soi : l’important encore une fois, est de trouver cet équilibre sur les circuits courts et le made in local. Pour avoir un équilibre entre l’action de l’entreprise, au sein de son écosystème, c’est-à-dire favoriser l’emploi et les emplois de demain, et avoir un impact sur l’environnement. Cela permet de contribuer à sauver une partie des émissions de CO2 qui serait généré par une fabrication en Asie.

Aujourd’hui 60% de l’activité est française, 30% européenne et 10% en dehors de l’Europe. On ne peut pas non plus être complètement replié sur soi. Toujours dans cette idée d’équilibre, nous avons 50% de nos ventes à l’international et 50% en France. C’est sain d’exporter et de faire du domestique.

3. Quels impacts ont tes émotions sur ton travail ?

Bernard de Mulatier : L’impact de mes émotions est fort puisque je suis engagé et militant sur des sujets industriels. Cela consomme de l’énergie et crée des émotions fortes quand j’entends qu’une société ou un chaîne de distribution se vante de faire des prix indécemment bas au détriment de l’emploi français ou européen car c’est du full import. Cela appuie sur le bouton de la colère parce que je pense que ces grands patrons n’ont souvent pas conscience des enjeux d’avenir pour le pays, ce qui n’est pas le cas par exemple en Allemagne où le militantisme favorise le local. Il y a des entreprises qui se moquent complètement de cela et par conséquent de l’écologie.

Cette colère renforce l’idée de vouloir communiquer autour de l’impact des entreprises, notamment des grosses entreprises, sur leur écosystème que ce soit sur le plan de l’emploi, du sens, de la RSE. C’est sensibiliser le plus grand nombre pour influencer les grands patrons à leur tour. Le consommateur et les entreprises en tant que consommatrices sont aussi responsables ou coupables de leur acte d’achat. On ne peut pas se plaindre d’une situation et acheter sans considérer ce qu’il y a derrière le produit qu’on achète.

C’est une colère saine, je me définis comme engagé pour défendre les équilibres qui font que les choses vont avancer et qu’on sera dans un environnement plus apaisé.

 Il y a aussi la satisfaction personnelle d’être dans le vrai : je suis fier de faire visiter à mes clients un outil de production dans la Drôme. J’observe aussi les visages des équipes : leur fierté renforce l’idée de continuer dans cette voie. Constater que les gens sont contents de travailler dans cette belle usine et les clients heureux de la visiter, me donne de la satisfaction personnelle et de la fierté.

4. Raconte-moi une expérience dans laquelle tu t’es senti dépassé par tes émotions (ou tu as craint d’être dépassé) ?

Bernard de Mulatier : Oui, et c’est toujours sur le même sujet de préoccupation. Je suis révolté par les pratiques d’achat qui reposent toujours sur le moins-disant au détriment des intérêts humains, industriels et écologiques. Même si quelques sociétés prennent un peu de hauteur et regardent d’autres paramètres que le prix. Il reste très courant d’avoir des acheteurs complètement déconnectés de l’environnement dans lequel ils se trouvent pour être capables d’acheter des produits toujours le moins cher possible quelles qu’en soient les conséquences derrière et ça m’énerve !

Récemment, j’ai vécu une scène sur un salon avec un grand acteur européen qui veut aller dans le green, qui veut être vertueux dans ses développements de produits. L’acheteur de cette entreprise me dit qu’il ne veut aucune dépense supplémentaire pour l’entreprise, que son seul intérêt est le coût. S’il peut faire plus propre avec le même coût, ça va, mais il ne sera jamais prêt à mettre un peu plus pour aller dans le sens de son empreinte carbone. Là je perds pied, j’ai failli faire avorter la réunion. On a réussi à lui démontrer que son raisonnement était incohérent.  Il n’a pas forcément changé d’avis mais au moins on lui a dit. Cette histoire démontre qu’il y a encore un travail gigantesque à faire. Ces problèmes d’écologie, d’impacts environnementaux, industriels et de valorisation du travail, de la défense des emplois, j’ai toujours l’impression que les gros donneurs d’ordre ne se sentent jamais concernés. Ils savent en parler mais c’est pour les autres.

Je me définis plus comme quelqu’un d’action que comme quelqu’un qui parle beaucoup sans rien faire derrière, il faut être dans les actes, c’est là que les entreprises sont attendues.

C’est une situation fréquente mais je commence à voir des changements notamment avec les jeunes acheteurs qui ont plus cette conviction qu’il faut changer quelque chose. J’espère que ces personnes iront moins dans les sociétés qui ne sont pas vertueuses. Ce serait peut-être une satisfaction de voir ces entreprises non vertueuses délaissées par les employés, et pourquoi pas les clients, s’ils ne font pas ce changement. Il faut être lucide sur la situation.

La responsabilité de chacun doit se traduire par des choix responsables de carrière et de consommation pour mettre l’humain au centre.

5. Quelles sont tes techniques pour rester confortable dans des situations qui t’impactent émotionnellement ?

Bernard de Mulatier : Pour faire descendre la pression, je change de position : je sors de la relation client-fournisseur, j’interpelle la personne et la questionne sur ses opinions personnelles. Est-ce que sa position a du sens, y a-t-il un décalage avec ses convictions personnelles ? Généralement, cela permet d’ouvrir le débat.

Ils se cachent souvent derrière « C’est ma direction qui… ». En demandant « Est-ce que vous le dites à votre direction ? », il y a une écoute, une conscience. Voir la personne prendre conscience que ce qu’il demande n’est pas cohérent va m’apaiser. Certes je me mets en danger et je mets en danger l’entreprise car je prends le risque de ne pas être retenu ou de braquer mon interlocuteur. J’ai au moins la satisfaction d’avoir fait passer un message et d’être en phase avec mes convictions. Je défends les intérêts auxquels je crois au-delà des intérêts de l’entreprise.

Mon approche n’est jamais méchante, c’est une discussion apaisée, non agressive. C’est sûr que c’est une démarche ambitieuse car nous sommes petits et c’est difficile de faire changer de très grosses structures. Cela doit d’ailleurs passer par des notions politiques plus larges.

Pour retrouver l’équilibre émotionnel, pour apaiser des situations, la technique est aussi de penser à des choses qui font du bien. Cela peut être en faisant appel à des images ou en faisant un break, en me ressourçant dans des endroits apaisants, la montagne m’apaise.  

Si j’ai quelqu’un de buté en face de moi, je ne m’acharne pas, je reste sur mes convictions et laisse le sujet de côté. C’est pour cela que nous ne travaillons pas avec la grande distribution et l’automobile par exemple. Nous ne voulons pas y aller car nous savons que nous nous casserions les dents d’un point de vue émotionnel. Je me préserve émotionnellement en choisissant de me concentrer sur des prospects et clients que je sens réceptifs.

L’humour est aussi un bon outil. Avec l’humour, on fait passer beaucoup de choses et cela permet d’apaiser aussi bien son entourage que soi-même. Dans certaines situations l’humour ne passe pas, mais j’aime l’utiliser dès que c’est possible.

6. Comment définis-tu l’épanouissement professionnel ?

Bernard de Mulatier : mon épanouissement professionnel est de bâtir, d’améliorer, de fédérer les équipes autour d’un projet.

Par exemple, quand les équipes ont choisi très rapidement après le confinement, de s’orienter dans la fabrication de masques. Il a fallu les concevoir, les tisser, les fabriquer. Cela a permis de maintenir toutes les équipes de production en place. Les équipes étaient emballées, avec le sentiment de « sauver le monde » en faisant juste des masques (nous en avons fait 3 millions).

Cela a vraiment été possible grâce à la cohésion d’une équipe rassemblée autour d’un projet qui avait du sens. C’était très chouette. Du coup, nous n’avons pas vécu le confinement comme tout le monde. Je garde même plutôt un bon souvenir du confinement. Du point de vue de l’équipe c’était super : ce côté « quoiqu’il en coûte, nous arriverons à sortir des masques le plus vite possible » alors que ce n’était pas du tout notre métier. Sortir un produit rapidement, grand public, et en grand volume. Trois thématiques que nous n’avions pas l’habitude de traiter et nous l’avons fait.

Cette réussite m’a permis de constater que j’ai créé des conditions d’épanouissement professionnel : nous aurions pu subir la situation, nous avons décidé d’aider et d’y aller.

L’épanouissement professionnel c’est aussi la satisfaction d’aller sur nos sites, d’être au contact des collaborateurs, fiers de notre savoir-faire, de nos outils de productions et de nos produits. C’est communicatif d’avoir des personnes fières de leur outil de travail, de le montrer. Je prends ces bonnes ondes des équipes.

À travers les yeux des personnes qui viennent nous visiter, je me rends compte de ce que nous avons accompli. J’ai des compliments et c’est la meilleure réponse que je puisse attendre. Cela éveille un sentiment d’apaisement, de bien être : nous avons atteint l’objectif que nous nous étions fixé.

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