À la suite de sa conférence pour la French Tech de Lyon Saint Etienne le 2 novembre, Mathilde Héliès, a rédigé un article destinés aux entrepreneurs.
Le bien-être au travail est un enjeu de notre époque. Les différentes crises à échelle mondiale ont des conséquences sur la santé mentale et également en entreprise. Dans un contexte de tension émotionnelle exacerbée, quels leviers permettent aux entreprises de s’appuyer sur les émotions comme alliées au service de la performance ? Mathilde Héliès du cabinet Fullémo décrypte la situation et propose des réponses.
1 dirigeant sur 2 risque le burn-out
Les impacts psychologiques de la crise sanitaire, sociale, économique, énergétique, écologique se font ressentir sur le bien-être des collaborateurs.
Les études montrent par exemple qu’un Français sur deux se dit « plus sensible et plus émotif » qu’avant la crise (Source : le baromètre France émotion de décembre 2022). Cette tension émotionnelle concerne tous les niveaux de l’organisation. Ainsi, une étude du service santé au travail AIPALS réalisée à l’automne 2020 dévoilait qu’un dirigeant d’entreprise sur deux était en risque de burn-out.
Des conséquences sur la santé mentale
3,2 millions de salariés français seraient « en risque élevé d’épuisement professionnel », selon le cabinet Technologia.
De nouveaux termes sont apparus pour qualifier les pathologies issues du monde professionnel tel que le bore-out ou le brown-out. Le premier évoque le collaborateur qui tombe malade à force d’ennui. Le second, un travail qui se vide de son sens et entraîne le désengagement.
Il est nécessaire d’être attentif au bien-être des collaborateurs et d’avoir à l’esprit le phénomène de contagion émotionnelle. En effet, la diffusion des émotions entre deux personnes s’opère en un 21 millième de secondes. De fait, si un collaborateur va mal, il y a fort à parier que cet état de mal-être se propage dans son entourage.
Les impacts économiques
Dans les entreprises, d’autres indicateurs sont fortement pénalisés. Je pense à l’absentéisme, qui coûte aujourd’hui à la France 107 milliards d’euros par an (selon une étude sur le coût caché de l’absentéisme au travail de l’Institut Sapiens menée en novembre 2018.) ce qui représente 4,7 points de PIB, ou pour le dire autrement, 16 % des salaires versés.
D’autres symptômes comme la difficulté à attirer, fidéliser ou engager ses talents se font ressentir dans un grand nombre d’entreprises. Tout cela se fait bien sûr au détriment de la performance de nos organisations.
Dans ce contexte, que faire ?
Enchanter l’expérience collaborateur
Une première réponse tient dans la capacité des entreprises à enchanter l’expérience collaborateur. Une étude réalisée par Accenture strategy aux États-Unis en 2018 livrait que les entreprises travaillant leur expérience collaborateurs avaient 17 % de plus de fidélité client et un chiffre d’affaires de 11 % supérieur à leurs concurrents.
Cette expérience collaborateur se joue sur des facteurs factuels (qui concernent les conditions de travail), relationnels (qui concernent les interactions humaines) et cognitifs (qui concernent l’appréciation du travail).
Il semble important de noter que l’expérience collaborateur est comme toute expérience, d’abord émotionnelle. En effet, c’est l’émotion qui ancre une expérience. Ainsi, le neuroscientifique Antonio Damasio (professeur de neurosciences, de neurologie et de psychologie) explique que les expériences s’ancrent physiologiquement avec le concept de marqueurs somatiques. Il convient donc de bien intégrer le champ émotionnel de l’expérience collaborateur.
D’ailleurs, Maurice Thévenet (professeur au Conservatoire national des arts et métiers) mentionne également combien « les émotions sont une partie intégrante de la vie au travail et qu’elles ont un impact certain sur l’efficacité au travail ».
Améliorer l’expérience émotionnelle des collaborateurs
Après l’expérience de télétravail massive impulsée par la COVID de nombreuses entreprises s’étonnaient d’avoir du mal à faire revenir les collaborateurs au bureau. Néanmoins, on peut comprendre que si un collaborateur a des conditions de travail plus agréables dans son environnement personnel que dans son environnement professionnel il ait du mal à revenir au présentiel.
Il faut savoir que l’appréciation de l’espace de travail influence le bien-être à 95%, l’efficacité à 94%, la santé à 93% et la motivation à 92% (source : l’Observatoire Actineo – enquête sur la qualité de vie au travail de 2017.)
J’invite les entreprises à repenser l’environnement physique. Chez Fullémo, lorsque nous travaillons sur l’expérience émotionnelle des collaborateurs, nous ne l’explorons pas seulement sous le volet des processus RH, mais nous nous intéressons à tout ce qui participe à l’expérience émotionnelle des collaborateurs en stimulant un maximum de sens !
Nous travaillons par exemple sur la diffusion d’odeurs, où nous associons aux espaces de travail les senteurs adaptées aux usages des lieux.
En outre, désormais, lorsque les collaborateurs viennent en entreprise, c’est bien souvent pour réaliser les tâches qu’ils ne peuvent pas réaliser en étant en télétravail. Il s’agit davantage de projets collaboratifs, innovants, créatifs. Alors comment les entreprises peuvent-elles stimuler cette créativité ?
Si nous sommes attachés avec l’équipe à faire rentrer l’art en entreprise c’est justement parce que les vertus de l’art en entreprise sont nombreuses : il inspire et fédère, c’est un véritable moteur d’expérience, d’apprentissage et d’épanouissement. L’art répond au besoin de favoriser l’exploration, l’innovation, de dynamiser le collectif, de stimuler la créativité, de donner matière à voir, à ressentir et à penser.
Comme le disait Pierre Lemarquis (neuropsychologue) « L’art agit presque comme un médicament ! ». Regarder une œuvre d’art a des effets directs sur notre cerveau : le beau déclenche une chimie cérébrale qui diminue les tensions du corps et stimule l’esprit
D’ailleurs un rapport de l’OMS de 2019 conclut que les arts jouent un rôle important sur la santé, quels que soient l’âge et l’origine. Nos émotions, notre humeur, notre capacité de concentration, notre mémoire sont stimulées par le beau.
Soigner les interactions
Lorsque j’évoque les facteurs relationnels, je m’appuie notamment sur une étude réalisée par Bach et Fischer dans les années 2000. Ils ont identifié les principales sources d’émotions dites « négatives » à l’origine par exemple de la colère, de l’irritation, du dégoût, de la tristesse dans le quotidien professionnel (je reprends les termes de l’étude car à vrai dire il n’y a pas d’émotion négative à mon sens, je parle davantage d’émotions agréables/désagréables). En l’espèce, il ressort de cette étude que les actions de la part des collègues additionnées aux agissements des supérieurs sont responsables à hauteur de 59% des émotions dîtes négatives.
D’où l’importance, pour le mieux-vivre ensemble, de former les collaborateurs aux compétences relationnelles afin de favoriser des interactions qui soient agréables et constructives pour chacun.
Singulariser son management
Concernant les facteurs cognitifs, il s’agit vraiment de l’appréciation du travail en tant que tel. Le collaborateur a besoin d’être au clair sur sa contribution à la mission globale de l’entreprise, et pour ainsi dire, donner du sens à sa mission.
Tout comme il va rechercher un juste équilibre entre la contribution et la rétribution. Pour être sûr d’être connecté à cette dimension cognitive, qui est une perception individuelle in fine, il est important que le management soit dans un accompagnement le plus singulier possible de ces collaborateurs.
Libérer la parole émotionnelle
Respecter les rituels managériaux est une clé pour fluidifier les échanges avec ses collaborateurs et traiter les irritants, faute de quoi ils peuvent se cristalliser.
Les émotions sont omniprésentes dans nos quotidiens professionnels, à l’œuvre dans chacune des interactions. Ignorées, elles génèrent des frustrations, des conflits et s’expriment sous une forme corporelle (épuisement, tensions musculaires, blocages, douleurs, migraines…).
Les entretiens individuels permettent de créer un espace pour accueillir et libérer la parole émotionnelle. La régularité de ces échanges est capitale comme le démontre la règle des 21 jours. Après 21 jours, l’expérience à la source d’une frustration passera en mémoire long terme et sera bien plus difficile à nettoyer.
En outre, pour finir de vous convaincre de l’importance de ces moments de partage au travers des rituels de management, sachez que les bienfaits du partage social sont nombreux en entreprise : bien-être émotionnel, cognitif, régulation de ses émotions, sentiment de reconnaissance, soutien social, gestion du stress, résolution de problèmes etc …
Cela nous rappelle qu’il est nécessaire de (re)donner leurs places aux émotions dans les entreprises et s’orienter vers une culture managériale qui s’appuie sur les émotions.
Impulser un leadership émotionnel
Le principe est le suivant, les interactions qu’un leader va avoir avec ses collaborateurs vont déclencher différentes émotions. Celles-ci vont à leur tour déclencher des réactions comportementales (différentes actions) qui vont générer des résultats. La puissance du leader est liée à sa capacité à s’appuyer sur les émotions (les siennes et celles de ses collaborateurs) pour maintenir et préserver l’équilibre entre le bien-être et la performance. Il parvient ainsi à instaurer un climat sain, positif et constructif. L’émotion est une énergie qui peut mobiliser et engager !
Associer bien-être et performance
Pour D. Goleman « c’est parce qu’un individu aura développé sa compétence à réguler les émotions (les siennes, celles des autres) qu’il pourra ainsi améliorer son bien-être au travail et celui de ses semblables mais également les performances personnelles et organisationnelles ».
En cela, son approche concilie les deux voies développées en parallèle par les chercheurs pour considérer les bénéfices d’une intelligence émotionnelle élevée.
En effet, certains chercheurs s’attachent à travailler sur la gestion des émotions comme une réponse à l’épuisement professionnel, au stress et à la souffrance au travail. D’autres préfèrent travailler sur une approche pragmatique et valorisent la gestion des émotions comme moyen de favoriser la performance organisationnelle.
Soigner son empreinte émotionnelle
Comme le disait Maya Angelou « les gens oublieront ce que vous avez dit, ils oublieront ce que vous avez fait, mais n’oublieront jamais ce que vous leur avez fait ressentir ». J’invite chacun à s’interroger sur son propre état émotionnel et son impact auprès des autres. Ainsi, si je suis agacée, je vais transmettre cet état émotionnel à mon interlocuteur. Je recommande de prendre un temps de quelques minutes, ce que j’appelle le « switch émotionnel » entre les différentes tâches pour s’assurer que son état émotionnel est adapté à la tâche qui nous attend. Si, ce n’est pas le cas, des techniques de régulation permettent de se rééquilibrer, de se réaligner.
S’appuyer sur l’intelligence émotionnelle
L’intelligence émotionnelle se développe et s’entretient, nous formons justement des publics variés. Elle renvoie à un ensemble de compétences, d’aptitudes dont chacun est doté et qu’il va par la suite développer. L’intelligence émotionnelle est une intelligence adaptative, elle permet d’utiliser les émotions au mieux en fonction d’un objectif opérationnel, pour conjuguer bien-être et performance.
Peter Salovey et John Mayer définissent l’intelligence émotionnelle comme « L’habileté à percevoir et à exprimer les émotions, à les intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre et à raisonner avec les émotions, ainsi qu’à réguler les émotions chez soi et chez les autres ».
Développer les compétences émotionnelles
Les compétences émotionnelles traduisent les capacités de chacun dans la (re)connaissance, l’usage, la compréhension et la régulation de ses états émotionnels (c’est la dimension intrapersonnelle de l’intelligence émotionnelle) et de ceux des autres (dimension interpersonnelle).
Je m’appuie sur les quatre compétences émotionnelles décelées dans les travaux de Peter Salovey et John Meyer, sont :
Compétence 1 : la perception émotionnelle (ou habileté à percevoir et exprimer les émotions)
Compétence 2 : l’assimilation émotionnelle (ou facilitation émotionnelle de la pensée)
Compétence 3 : la compréhension émotionnelle (ou habileté à comprendre et raisonner au sujet d’émotions même complexes)
Compétence 4 : la gestion des émotions (ou habileté à gérer ses émotions et celles d’autrui)
Évaluer ses compétences émotionnelles ?
Chez Fullémo nous utilisons le QE Pro© dans le cadre d’un bilan émotionnel. L’objectif est de diagnostiquer ses compétences émotionnelles, permettre aux individus de décrypter leur fonctionnement émotionnel, de mieux se connaitre, de gagner en bien-être et en performance.
Le test QE Pro© (Q pour quotient, E pour émotionnel, Pro pour professionnel) a été créé par les Drs Christophe Haag, Lisa Bellinghausen et moi-même en tant que partenaire exclusif Badenoch + Clark, filiale de The Adecco Group. L’objectif est d’évaluer l’intelligence émotionnelle des cadres et dirigeants (population de référence).
Il s’agit d’un test dit « de performance » qui mesure, comme son nom l’indique, la performance d’un individu dans l’exécution de tâches et dans la résolution de problèmes « de nature émotionnelle ». Il y a des réponses justes, d’autres fausses. En ce sens, le QE Pro© se distingue des tests auto-évaluatifs.
Réaliser un bilan émotionnel
Dans un premier temps, la personne est invitée à passer le test en ligne, la passation dure 20 à 25 minutes. La personne a ensuite accès à son rapport personnalisé du QE pro© (délivré après avoir passé le test), qu’elle nous transmet afin de préparer la séance de débriefing.
Nous réalisons ensuite une séance de débriefing, qui a une durée de 2H00.
Celle-ci vise à expliquer le diagnostic QE Pro©, comprendre son fonctionnement émotionnel et identifier les principales pistes de développement.