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PORTRAIT ÉMOTIONNEL #30 Témoignage d’Isabelle Vray-Echinard

Isabelle Vray-Echinard

Témoignage d’Isabelle Vray-Echinard

Pour à la fois sensibiliser au rôle et à l’impact des émotions dans le travail mais aussi libérer la parole émotionnelle, Fullémo réalise un recueil de témoignages sincères et authentiques.

Il s’agit de répertorier les bonnes pratiques sous forme d’interviews écrites autour de six questions dont les réponses contribuent à l’éveil général.

Par ces partages d’expériences issues de tous types d’environnements, nous souhaitons diffuser des grilles de lecture, des manières d’aborder les situations qui peuvent résonner et inspirer nos lecteurs et ainsi favoriser leur épanouissement professionnel.

Pour en savoir plus sur les motivations à l’origine de ce recueil de témoignages : cliquez ici

Isabelle Vray-Echinard est dirigeante de Mirima et Classhotel qui conçoivent et fabriquent du mobilier. Deux structures qu’Isabelle a acquises respectivement depuis sept et quatre ans.

Isabelle partage son besoin de franchise et d’authenticité, de toujours sortir du flou pour des relations apaisées.

Isabelle dévoile ces nombreuses techniques afin de prendre de la hauteur sur les situations et bien vivre individuellement et en collectif les perturbations. Une ode à la fluidité et à la transparence des échanges !

Merci Isabelle pour cet échange et votre franc parler !

1. Comment définissez-vous votre métier ?

Isabelle Vray-Echinard : Je suis cheffe d’orchestre : valoriser les savoir-faire, les compétences, mes entreprises et mettre en musique tous ces éléments.

Un de mes objectifs était de redonner de la fierté, de la confiance et du sens aux personnes qui conçoivent et fabriquent en France.

En 2015, j’ai racheté Mirima, qui a plus de 60 ans et en 2017, Classhotel qui a une cinquantaine d’années. Les deux entreprises ont le même ADN. Notre métier est de concevoir et fabriquer du mobilier dans une logique d’usage et d’esthétique pour des univers très différents. Mirima est née dans le monde médical, c’est l’ADN technique de la marque qui m’a attirée. J’ai beaucoup réinvesti pour aider les univers médicaux et paramédicaux.

Classhotel fabrique du mobilier professionnel de service et de présentation pour les hôtels hauts de gamme. Cela doit répondre aux usages professionnels tout en étant très esthétique.

J’ai des collaborateurs qui n’ont connu que ces entreprises. Ce sont des entreprises qui ont beaucoup de cicatrices, ce qui a un impact sur les équipes. Faire preuve d’optimisme et voir plus loin sont des éléments clés pour redonner de l’élan à ce que j’appelle des « belles endormies ».

2. Quel est le sens que vous donnez à votre Job ?

Isabelle Vray-Echinard : Je ne travaille que par passion. Ce qui me passionne, c’est ce en quoi beaucoup de personnes ne croient pas : la complexité et la difficulté d’y parvenir qui sont pour moi des émulations.

Je sais que je ne peux pas y parvenir seule. Le sens est d’emmener une équipe unie vers un projet avec beaucoup d’incertitudes tout en mettant nos atouts en avant.

Je suis aussi guidée dans mes choix par l’idée de faire dans un collectif et pour un collectif. C’est ce que je suis venue chercher en rachetant des entreprises sinon je serai restée là où j’étais.

Je ne suis pas favorable au télétravail , sauf exception, car je considère qu’il tue le collectif de travail. Être une seule et même équipe, c’est important. Nous sommes tous là pour apprendre ensemble. Chacun est une pierre à l’édifice et chacun a un rôle à jouer par rapport aux autres. Nous sommes là pour avancer ensemble.

Quand il y a des difficultés, je le dis, quand il y a des choses merveilleuses, je le dis.

Le monde industriel, que je ne connaissais pas, est un monde très prescriptif : les collaborateurs attendent tout du patron. Quand je suis arrivée ici j’ai réuni tout le monde et j’ai dit : moi je ne sais rien. Je ne sais pas fabriquer, je ne sais pas faire ce que vous faites, vous avez un vrai savoir-faire et je suis là pour apprendre comment vous le faites pour pouvoir le valoriser, le présenter et le vendre.

3. Quels impacts ont vos émotions sur votre travail ?

Isabelle Vray-Echinard : Quand je suis arrivée, personne ne parlait au patron, ils écoutaient. Maintenant ils viennent facilement me voir pour faire des propositions. Mes émotions font que je suis accessible, mon bureau est toujours ouvert.

J’ai une stabilité émotionnelle même s’il y a des moments compliqués. Je fais preuve d’optimisme et d’humour à toute épreuve, et encore plus en période de turbulences. C’est bien pour l’équipe.

Cependant je ne les berce pas d’illusion. Surtout depuis deux ans où c’est très très compliqué. Je suis résolument optimiste devant l’équipe.

Ils ne sont jamais déçus par rapport à ce que j’ai dit il n’y a pas de décalage entre mon discours et la réalité. Je suis avec les autres comme j’ai envie qu’on soit avec moi. Il y des règles, comme satisfaire le carnet de commandes, mais comment chacun le fait ne me pose pas de problème. Il faut juste que les choses soient faites. Peu importe que les personnes arrivent à 7h ou à 9h. Je suis très cool, je laisse beaucoup d’autonomie mais il ne faut pas me balader. Je veux donner de la liberté d’agir et de l’autonomie aux collaborateurs.

4. Racontez-moi une expérience dans laquelle vous vous êtes sentie dépassée par vos émotions (ou vous avez craint d’être dépassée) ?

Isabelle Vray-Echinard : Quand j’ai repris Classhotel, comme je viens d’univers très différents, de grandes structures, j’ai proposé à un des anciens associés de rester avec moi. Il était ingénieur et plus jeune que moi, cela me semblait bien pour la transmission.

Je l’ai nommé directeur général de Mirima. Je pensais qu’il avait la même approche du management que moi, laissant de l’autonomie aux équipes. Or, ce n’était pas le cas et cela s’est très mal passé car il restait enfermé dans son bureau et avait une approche très « top down ». Pour moi, un patron doit savoir tirer le meilleur de ses salariés, valoriser les atouts et savoir-faire de chacun.

Un collaborateur, forte tête, a pris le directeur général en grippe. Le DG ne parvenait pas à lui parler et cela polluait toute l’ambiance dans l’équipe. Le DG s’en plaignait et me demandait de m’en séparer. Considérant que le technicien était un très bon professionnel, que lorsque j’avais eu des problèmes avec lui, ils avaient été résolus en mettant simplement les points sur les i, je disais au DG « C’est à toi de parler avec lui et de traiter le problème ». Comme il ne le faisait pas, un jour je lui ai proposé de régler le problème moi-même. Nous avons donc convoqué le technicien. Il y avait une haine entre les deux, le technicien considérait que le DG n’était pas à sa place et était très véhément.

Il m’a remise en cause, moi, et le rachat de Classhotel lui-même. C’est très rare que je sorte de mes gonds, j’ai été habituée aux conflits et aux négociations difficiles. Je suis sortie de mes gonds car j’ai eu le sentiment d’être en procès ce qui n’était pas du tout l’objectif qui était de trouver des solutions pour qu’ils se parlent. J’ai été touchée par le fait qu’il remette en cause le rachat et estimais qu’il n’avait pas à me juger. C’était quelqu’un de difficile qui regardait et regrettait toujours le passé quand je regarde l’avenir.

Je l’ai recadré fermement : « Nous n’êtes pas là pour faire mon procès, pour remettre en cause ma stratégie, J’admets que vous ne vous entendiez pas avec votre supérieur hiérarchique, mais vous devez lui rendre compte ». Quand il est sorti du bureau, je savais qu’il allait faire ce qu’il devait faire mais j’ai pensé qu’il allait partir rapidement. Il est en effet parti à la fin du confinement en faisant valoir ses droits à la retraite.

5. Quelles sont vos techniques pour rester confortable dans des situations qui vous impactent émotionnellement ?

Isabelle Vray-Echinard : je me ressource facilement. J’ai une vie personnelle équilibrée. Certains peuvent considérer que je ne suis pas très équilibrée car j’ai souvent changé d’emploi, mais ma stabilité est de vivre avec le même homme depuis trente-huit ans. J’ai toujours distingué ma vie professionnelle de ma vie personnelle. Je ne mélange jamais les deux. Il n’y a pas de porosité entre les deux.

Dans ma vie privée, je ne décide de rien, je me laisse porter. Mon mari dit que je suis « comme une invitée » et je ne m’occupe de rien. Alors que dans ma vie professionnelle, je décide de tout ! C’est un choix de vie !

J’essaie de dédramatiser en permanence.  Je dis souvent « nous n’avons pas de vie à sauver ». Dans nos univers professionnels nous « auto-générons » un stress et une pression qui ne sont pas justifiés. Nous avons des problèmes d’approvisionnement, de vol de marchandises, mais il n’y a rien de grave. Ce stress auto-généré est entretenu par un univers ambiant très pessimiste.

Quand quelque chose me perturbe, j’exprime ce que je ressens avec authenticité, je ne laisse pas les choses s’envenimer. Jamais je ne laisse une situation floue s’installer. Cela peut être perturbant. Je clarifie quelle que soit la personne, je ne fais pas de différence que ce soit un dirigeant ou un technicien. Il faut être très transparent avec les équipes.

Quand une situation compliquée survient dans une équipe, j’essaie toujours de donner la même information à tous. Mais quand j’identifie la source du problème, je fais en sorte de voir la personne en tête à tête pour exprimer ce que j’ai à dire. J’essaie de tirer tous les enseignements de la situation et de ne pas dramatiser.

Je passe beaucoup de temps à expliquer, à écouter. Il y a des personnes qui n’ont pas le même point de vue que le mien. Dans nos entreprises, les managers ont oublié de passer du temps avec leurs équipes. Peut-être perd-on un peu de temps mais c’est du temps de gagné sur la sérénité des équipes.

C’est en se parlant et en se disant les choses que nous avançons. J’essaie de faire en sorte qu’il n’y ait pas de sujets tabous. Si je sens une tension que ce soit avec moi ou entre des personnes, je fais en sorte que les personnes se parlent. Quand les choses se disent et s’expliquent, que chacun expose son point de vue, souvent il n’y a plus de problème.

Je suis beaucoup dans le partage y compris des échecs. Je pars du principe que tout le monde a le droit à l’erreur mais estime qu’on doit tout faire pour ne pas commettre la même erreur une deuxième fois.

Je m’efforce aussi de détecter les signaux faibles. J’ai l’exemple d’une collaboratrice dont la maman est malade, j’ai vu qu’elle n’allait pas bien et je lui ai proposé d’aller voir sa mère. En fait, elle n’osait pas me le demander car il y avait beaucoup de travail.  Au contraire, le risque serait de laisser sa situation se dégrader.

Il y a beaucoup de choses qui perturbent les individus. A une autre époque, on mettait ses œillères et on considérait que c’était de l’ordre du privé. Même si j’ai rarement agi ainsi, ici ce n’est pas envisageable : plus l’équipe est petite plus le moindre problème a des répercussions sur le collectif. Auparavant, j’ai géré des grosses organisations dans lesquelles l’impact est bien moindre. Mirima, c’est une dizaine de personnes, il n’est pas possible de laisser une situation s’envenimer.

Prendre le temps d’écouter est le prix à payer pour créer les conditions de la performance.

6. Comment définissez-vous l’épanouissement professionnel ?

Isabelle Vray-Echinard : L’épanouissement professionnel, c’est faire quelque chose qui vous plaît, qui vous passionne et où les éléments positifs l’emportent sur les éléments négatifs.

C’est être aligné avec ses convictions et ses valeurs, ce qui fait que j’ai toujours démissionné de mes postes. L’épanouissement tient aussi au fait que j’apporte une valeur ajoutée à la structure dont j’ai la responsabilité.

Mon épanouissement professionnel passe aussi par l’épanouissement collectif. Ce qui est difficile en ce moment. Les gens ne se rendent pas compte que nous sommes dans un pays où les choses sont faciles, un pays libre où on peut se soigner facilement. Beaucoup de choses sont très intellectualisées et nous ne pensons plus tellement collectif.

Pour moi seules la maladie et la mort sont les choses sur lesquelles nous n’avons pas beaucoup de prise. Il faut relativiser. Nous nous plaignons beaucoup sans nous rendre compte de tous les avantages acquis.

Aujourd’hui il faut aussi que les gens se rendent compte qu’ils sont un peu dans un cocon après les deux années où ils sont restés chez eux. Les jeunes m’envoient des mails alors que je suis à côté et que ma porte est ouverte. Je leur dis d’apprendre à communiquer, à venir me voir. Je remarque que beaucoup de jeunes ont du mal avec la relation y compris personnelle. Ils ne se rendent pas compte qu’une relation se construit, s’entretient, nécessite des efforts de part et d’autre. Sous couvert du politiquement correct on ne dit pas ce qu’on pense. Il faut que les gens apprennent à exprimer ce qu’ils ressentent, à être plus authentiques, à mieux se connaître et à admettre qu’ils n’ont pas la réponse à tout. Je dis facilement “je ne sais pas”, que nous allons trouver une solution ensemble. Souvent on oublie de demander aux collaborateurs des idées alors qu’ils en proposent souvent des bonnes ! Nous avons perdu la capacité d’échanger avec l’autre. Nous n’osons pas. Dans les nouvelles générations, il y a beaucoup de compétences mais je constate un problème relationnel.

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