Libérer la parole émotionnelle en entreprise
Fullémo réalise un recueil de témoignages permettant d’une part, de sensibiliser au rôle et à l’impact des émotions dans le travail et d’autre part, de libérer la parole émotionnelle en entreprise.
Il s’agit de répertorier les bonnes pratiques pour contribuer à l’éveil général.
Par ces partages d’expériences issues de tous types d’environnements, nous souhaitons diffuser des grilles de lecture, des trucs et astuces, des manières d’aborder les situations qui peuvent résonner et inspirer nos lecteurs.
Notre intention à travers ces éclairages est d’aider nos lecteurs à lutter contre la fatigue émotionnelle et favoriser leur épanouissement professionnel.
Pour en savoir plus sur les motivations à l’origine de ce recueil de témoignages : cliquez ici
Témoignage de Jérôme EININGER
Cette semaine nous vous présentons Jérôme EININGER, Directeur Général et associé de QANTIS, une équipe de 70 personnes au service de leurs 35.000 adhérents. Homme de réseau, il est drivé par la collaboration, la co-conception, la co-construction. Constamment à la recherche de solutions innovantes, l’échange est la source de son énergie.
Il aime utiliser l’humour pour faire redescendre les coups de stress et renouer avec la créativité.
Peux-tu te présenter ?
Jérôme Eininger : Je suis Jérôme EININGER, directeur général et associé de QANTIS. Depuis 2001, nous sommes une centrale d’achat qui regroupe des entreprises indépendantes. En une phrase, notre métier consiste à mieux acheter ensemble en mutualisant des volumes d’achats et ainsi permettre à des PME, PMI, ETI, collectivités, d’acheter à des conditions négociées, comme s’ils faisaient partie d’un grand groupe. Aujourd’hui plus de 35.000 entreprises de la France entière nous utilisent dans différents métiers du BTP, des services, de l’industrie.
Nous représentons plus de 300 millions € de volume d’achat et 150 fournisseurs référencés.
La création de QANTIS est issue d’un projet de dirigeants. Ce n’est pas un projet d’acheteurs, mais bien de dirigeants-entrepreneurs qui collaborent avec d’autres dirigeants pour répondre à leurs problématiques.
C’est pour cela que dans notre organisation et dans notre manière d’avancer au quotidien nous allons souvent évoquer le terme de collaboratif, car en fait depuis 2001, avec nos Adhérents, nous coconstruisons Qantis ainsi que d’autres solutions qui vont au-delà des achats. Notre démarche est toujours collaborative. Nous avons mis en place différents outils pour soutenir cette démarche : des comités d’achat, des comités de pilotage, des clubs, des rencontres… tout cela est basé sur la richesse des échanges.
Comment définis-tu ton métier ?
Jérôme Eininger : Mon job est un métier de réseau. C’est un métier de contacts humain parce que c’est une source de rencontres, d’échanges, de découvertes. Continuellement, je mets mon énergie pour comprendre, chercher et surtout écouter les besoins de nos adhérents pour pouvoir les transformer en solutions concrètes pour eux.
Quel est le sens que tu donnes à ton job ?
Jérôme Eininger : Ce qui me fait me lever le matin c’est le plaisir, me faire plaisir. D’ailleurs je suis adhérent du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) où la phrase : « on peut être sérieux sans se prendre au sérieux » revient souvent.
Je considère que l’on peut se faire plaisir chacun dans notre job sans se prendre au sérieux.
Ce que j’aime, c’est chercher des solutions, être en mode projet. J’aime avoir une vision à 360° des sujets et me projeter à moyen et long terme. J’ai en revanche bien conscience qu’en tant que dirigeant, il nous faut continuellement faire des allers et retours entre le court, le moyen et le long terme.
Au-delà de me faire plaisir, j’aime provoquer des rencontres, des échanges entre adhérents, partenaires, fournisseurs… Toute cette logique de créer des synergies entre différentes entreprises du même métier ou non, du même territoire ou non… Le plaisir, c’est aussi de travailler en équipe même si je sais aussi être seul pour me poser, prendre le temps de la réflexion et du recul.
Sur le sens que je donne à mon job, il y a aussi le sujet professionnel qui est premièrement de générer de la valeur ajoutée pour ceux qui nous font confiance et ceux qui viennent travailler avec nous, que ce soit un adhérent ou un fournisseur référencé. Deuxièmement, la vision collaborative du job : le besoin d’appartenance, de créer une ou des communautés et de les animer, les faire se rencontrer. Troisièmement, le collaboratif interne avec mes propres équipes. Aujourd’hui nous sommes presque 70, souvent je dis que nous ne sommes pas 70 salariés mais 70 familles. Ce n’est pas du tout la même approche et cela n’a pas la même portée.
Ici, c’est le collaboratif au sens de grandir tous ensemble et faire en sorte que les membres des équipes trouvent la place qui leur permet de grandir eux-mêmes d’un point de vue professionnel mais aussi avec des effets de bord personnels.
Penser « 70 familles », génère un peu de pression mais c’est ma volonté de vouloir bien faire à chaque fois, d’être le plus efficace, le plus efficient possible et que chacun puisse être emmené positivement.
Quels impacts ont tes émotions sur ton travail ?
Jérôme Eininger : La passion, l’enthousiasme me poussent à innover à sortir de ma zone de confort et à aller chercher des solutions nouvelles, là aussi que ce soit pour les adhérents, les partenaires ou les équipes.
Le stress peut aussi amener à agir différemment au quotidien et permettre d’être focus sur le ou les objectifs.
Qu’est-ce qui peut te mettre en stress dans le travail ? Et comment se manifeste-t-il ?
Le stress vient peut-être de la nécessité de décider. En tant que dirigeant entrepreneur, aujourd’hui il y a une accélération du rythme qui fait qu’il faut prendre de plus en plus de décisions avec un timing assez serré, sur des sujets de plus en plus différents. Plus l’entreprise passe des caps en termes de taille plus tout s’accélère. Le piège est de tomber dans l’instantanéité de la décision, sans prise de recul et ainsi de ne pas prendre la bonne décision. J’aime prendre du recul, faire un pas de côté, peser le pour et le contre. C’est un bon moyen de ne pas me laisser embarquer par une réaction impulsive. Une solution pour moi au bon équilibre entre intuition et réflexion.
Comment intègres-tu les émotions de tes collaborateurs dans ton management ?
Ma sensibilité fait que j’ai un niveau d’échanges assez élevé avec mes collaborateurs. Quand ils ont un sujet, une question, ils savent que la porte est toujours ouverte. Ils savent qu’ils peuvent venir me demander mon avis sans se mettre en danger, sans qu’il y ait une notion de posture, d’ego ou autre.
Cette sensibilité me permet d’établir un certain lien avec les équipes. Les collaborateurs ne vont pas hésiter à m’appeler si quelque chose ne va pas, ils ne vont pas hésiter à me parler de questions personnelles. Je leur permets d’échanger sans aucun jugement, avec bienveillance et empathie.
Un autre élément important dans mon job de dirigeant, c’est d’arriver chaque matin avec l’énergie nécessaire pour moi mais aussi avec un surplus que je puisse donner aux autres. Quand vous donnez, vous recevez tel le principe des vases communicants.
En cas de conflit entre collaborateurs, c’est ma personnalité de médiateur ou de diplomate, qui va prendre le dessus pour tenir compte de la vision de chaque partie prenante pour arriver soit à un consensus, soit pour détricoter une situation où il faut juste que chacun relise la situation avec les lunettes de l’autre.
Dans cette logique, nous avons réalisé en CODIR il y a quelques temps un exercice marquant : exprimer ce que chacun appréciait chez l’autre. Cet exercice est assez magique, parce qu’il synthétise tout ce qu’il y a de bon dans la manière d’échanger avec les gens. Tu prends le temps d’aller chercher pourquoi tu apprécies telle ou telle chose chez chaque personne. Tu es obligé de le rattacher à du factuel, mais tu parles aussi avec le cœur, tu t’ouvres. C’est une belle manière de générer une spirale positive, un cercle vertueux.
Raconte-moi une expérience dans laquelle tu t’es senti dépassé par tes émotions (ou tu as craint d’être dépassé) ?
Jérôme Eininger : Une période qui a été difficile, je citerai la période du COVID et du premier confinement. Difficile à plusieurs titres : parce qu’il fallait que nous avancions coûte que coûte, nous n’avions pas le choix, nous étions en stress important avec des injonctions contradictoires « il faut travailler, il ne faut pas travailler », il y avait aussi le stress des autres, tout cela formait une énergie négative dans un environnement empreint d’incertitudes.
Cette période a été compliquée tant à titre professionnel que personnel. Tous nos adhérents nous appelaient pour trouver des masques et autres protections, il a fallu mettre en place des flux d’approvisionnement depuis l’Asie car il n’y avait plus rien en France ce qui signifiait travailler avec le décalage horaire.
Il fallait apporter une vision et prendre soin de mes équipes alors même que nous étions tous dans le flou. Nous étions une quarantaine de collaborateurs, quarante familles, ce qui donnait beaucoup de poids aux décisions sur le chômage partiel par exemple. Il y avait aussi bien entendu la vision financière et le stress de la trésorerie, le stress de l’organisation quotidienne, celui de mettre en place les flux, etc. Une période pendant laquelle je n’étais quasiment jamais disponible pour ma sphère personnelle.
Chez moi le stress se manifeste sous forme de doute tant sur moi que sur l’environnement, il est toutefois relativement vite balayé. Je reboucle rapidement sur le droit à l’erreur, l’expérience…
Ma vision globale positive où le verre est toujours à moitié plein est en effet un réflexe chez moi.
Le sommeil peut être contrarié, néanmoins les solutions me viennent souvent pendant le sommeil, je peux ainsi noter des choses en pleine nuit. C’est un mode de fonctionnement assez chanceux.
En tant que dirigeant, nous sommes des machines à trouver des solutions, et je pense que nous sommes vigilants pour cloisonner un maximum pour le bien de notre entourage. Je cherche énormément à protéger mon entourage du stress que je peux avoir au travail.
La difficulté en période COVID, c’était d’ailleurs la notion de proximité. A ce moment-là, réussir à protéger mon entourage résidait dans le fait d’être dans une autre pièce pour qu’ils ne vivent pas mes discussions et mon rythme : quand des palettes arrivaient d’Asie le matin à Villacoublay, je devais être sur le pont vers 5h et souvent jusqu’à plus de 23h.
Souvent on dit qu’en tant que dirigeant on est seul. C’est pour cela que je me suis engagé dans différents réseaux le CJD, le MEDEF ou avec un mandat de Président d’un CFA (Centre de Formation des Apprentis) l’IFIR. Ces réseaux sont aussi un besoin d’aller me nourrir à l’extérieur de l’entreprise, de ne pas être seul, d’avoir des effets miroirs. Tout cela, je ne l’avais plus vraiment au moment du COVID. C’était difficile à organiser. Cela a exacerbé la difficulté et a fait du COVID l’expérience la plus compliquée pour moi.
Quelles sont tes techniques pour rester confortable dans des situations qui t’impactent émotionnellement ?
Jérôme Eininger : Je me sers souvent de l’humour pour dédramatiser une situation un peu complexe. L’humour me permet de reprendre un peu de champ et de me remettre en mode prise de recul, de peser le pour et le contre, de répondre aux questions : est-ce qu’il faut le faire tout de suite ? Est-il urgent de prendre le temps ?
Il y a aussi un autre phénomène, c’est que l’humour me remet dans une spirale positive et me permet ainsi de voir la situation de manière positive. Cela peut m’aider à décider un petit peu plus rapidement si nécessaire, ou au contraire me faire penser que « la nuit porte conseil ». Parfois, j’ai juste besoin de plus d’éléments pour trancher. Je bascule alors en mode écoute et reprend mes questionnements.
Enfin lorsqu’il y a du stress, l’humour me permet aussi de reprendre de l’énergie afin de respirer, me réancrer et décider en conscience.
Pour avoir un bon niveau d’énergie dès le matin, j’ai recours au positivisme : « une belle journée commence ». Même si je sais que dans ma journée il y aura des choses peut-être un peu plus complexes. Je dis complexes et pas compliquées volontairement. Je veille vraiment à faire ressortir les points positifs, à toujours avoir cette petite musique : « Attends, même s’il y a des choses complexes, il y a des solutions. »
Je n’ai pas consciemment mis en place de rituel du matin mais j’essaie de prendre des moments pour moi pour réfléchir à ce que je vais faire non pas à titre professionnel mais plutôt personnel.
Je vais me projeter sur des projets qui me tiennent à cœur, dans lesquels je vais me ressourcer à court, moyen, long terme plutôt à titre personnel.
Je me suis aperçu que c’était surtout savoir prendre des moments pour moi qui faisait que je me ressourçais davantage et qu’ainsi j’arrivais au travail avec plus d’énergie, de pêche.
Je peux avoir besoin de solitude pour me ressourcer, me réaligner, regagner en sérénité et être plus ancré. Avec la maturité, les expériences vécues, les claques que l’on peut se prendre au fil des années, je veille à prendre un moment pour moi, c’est ma forme de méditation, mais moins technique, comme si je faisais un petit voyage intérieur.
Une autre technique que j’utilise en cas d’émotion forte, c’est la respiration. J’ai découvert cela lors d’une formation sur la communication publique. Ce n’est pas l’exercice le plus naturel pour moi. Lors de cette formation, j’ai découvert la respiration et l’ancrage, avec l’image des deux pieds ancrés dans le sol et du réalignement.
Il y a aussi ce que j’ai déjà dit, revenir vers le positif, la petite solution amène la grande solution. Je suis vraiment en mode recherche de solutions : s’il n’y a pas de solution c’est qu’il n’y a pas de problème !
Comment définis-tu l’épanouissement professionnel ?
Jérôme Eininger : Je reviendrai sur la notion d’équilibre pro-perso. Ayant à cœur de vouloir bien faire, j’ai un niveau d’exigence envers moi-même élevé et j’ai donc besoin de me ressourcer, de prendre du recul, d’avoir un bon équilibre avec ma famille et mon épouse.
Si je veux garder l’envie, le plaisir, la joie, cela passe pour moi très clairement par cet équilibre pro-perso.
Comme bon nombre de dirigeants, j’ai un emploi du temps bien cadencé et gérer ses rendez-vous comme des mini-projets me permet de structurer les choses dans ma tête.
Avec la maturité, je veille aussi à privilégier les rencontres et les échanges à plus forte valeur ajoutée pour ma boite, pour moi, pour les équipes et à ne pas dire toujours oui aux sollicitations.
Cette logique de travailler sur mon agenda me permet d’avoir un temps d’avance et vise à ne pas subir mon emploi du temps. Je veille aussi à poser dans mon agenda des moments de respiration, laissant place à la possibilité d’absorber l’imprévu ou la possibilité de prendre des moments en totale spontanéité.
Me bloquer des plages plus personnelles, des rendez-vous avec moi-même fait partie de l’exercice. Il m’arrive d’ailleurs de déjeuner avec moi-même même si c’est pour travailler.
Mais bien entendu dans cette gymnastique intellectuelle je fais toujours attention à laisser la plus grande place possible aux échanges avec mes équipes.