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Pour à la fois sensibiliser au rôle et à l’impact des émotions dans le travail mais aussi libérer la parole émotionnelle, Fullémo réalise un recueil de témoignages sincères et authentiques.
Il s’agit de répertorier les bonnes pratiques sous forme d’interviews écrites autour de six questions dont les réponses contribuent à l’éveil général.
Par ces partages d’expériences issues de tous types d’environnements, nous souhaitons diffuser des grilles de lecture, des manières d’aborder les situations qui peuvent résonner et inspirer nos lecteurs et ainsi favoriser leur épanouissement professionnel.
Pour en savoir plus sur les motivations à l’origine de ce recueil de témoignages : cliquez ici
Aujourd’hui Fullémo vous emmène en Afrique avec Khaled, Directeur Général de One Health, filiale de AXA basée en Égypte.
Khaled raconte son passage du rôle de stratège au rôle d’intrapreneur, le plaisir « de concevoir un projet et d’être amené à le réaliser tel qu’on l’a rêvé ».
Khaled porte son attention sur le confort physique et émotionnel de ses collaborateurs et veille au confort émotionnel de chaque membre de son équipe. Il s’attache à libérer la parole émotionnelle : « Je suis en train d’apprendre à laisser davantage mes émotions apparaître pour autoriser les autres à exprimer les leurs. »
1. Comment définissez-vous votre métier ?
Khaled El Shaarany : Mon métier a deux dimensions.
Je suis d’abord un intrapreneur parce que je travaille dans un très grand groupe, le groupe AXA, multinationale très structurée et très compliquée. Ce rôle d’entrepreneur est très spécial à l’intérieur de cette grande structure. J’ai mon lot de difficultés, de challenges et d’objectifs : je dois réussir à faire grandir une start up tout en étant adossé à un grand groupe.Ce rattachement présente des avantages évidents mais aussi quelques désavantages comme le sentiment de lenteur dans la prise de décision, loin du rythme d’une start up !
L’autre dimension de mon métier repose sur l’activité One Health :
j’ai la responsabilité de lancer un service de centres médicaux en Afrique. Il y a une complémentarité importante entre les soins de santé et les services d’assurance qui paient ces soins. Sur le continent africain, les services de santé sont peu développés voire en dessous de la demande et des besoins. Lancer ces centres médicaux, engager des médecins, des infirmiers et infirmières pour proposer un service de santé de qualité est une mission que j’adore. C’est une mission noble et qui me donne beaucoup de satisfaction.
Nous avons lancé le projet sur le terrain avec l’ouverture de notre premier centre médical il y a deux ans et depuis nous en avons ouvert huit, cinq au Caire et bientôt deux ouvriront au Nigéria. Cela représente plus de 500 médecins recrutés et plus de 100 infirmières-infirmiers qui nous ont rejoint. Notre concept répond à un vrai besoin. En très peu de temps nous avons transformé le service médical, avec des clients qui nous donnent des NPS* de plus de 80% ce qui révèle à quel point ce service -qui n’existait pas sur le marché- est attendu et demandé.
Avec seulement trois centres au Caire, nous avons réussi à traiter 250 000 patients en deux ans.
Plus nous aurons d’ouvertures, plus nous pourrons rencontrer de patients. Notre ambition est de passer de 250 000 consultations par an à 1 million de consultations par an dans les dix-huit mois.
* Le Net Promoter Score est un indicateur permettant de connaître et de mesurer la satisfaction et la fidélisation des clients, il indique la propension de clients prêt à recommander une marque, un produit ou un service.
2. Quel est le sens que vous donnez à votre job ?
Khaled El Shaarany : C’est vraiment le sens du métier dans le service médical, c’est à dire pouvoir traiter avec dignité des patients. Leur offrir la possibilité de se faire soigner au niveau des standards internationaux sans devoir se séparer d’une fortune.
C’est extrêmement satisfaisant. Il faut savoir qu’en Afrique, soit c’est le service public qui est sévèrement sous-financé et où les médecins sont eux-mêmes victimes d’un système qui ne fonctionne plus : des heures d’attentes, des conditions sanitaires dangereuses, on peut y attraper toutes les maladies du monde. Soit c’est le secteur privé, très cher avec des fraudes, des abus de paiement : vous restez dix nuits alors qu’une suffirait, vous subissez une batterie de tests alors qu’aucun test n’est nécessaire…
Le sens de mon job, c’est de pouvoir proposer un service médical aux égyptiens et aux nigérians, dans lequel chacun est pris à temps sans devoir attendre deux heures le médecin. Un lieu dans lequel la salle d’attente est confortable, où le docteur vous reçoit dans de bonnes conditions, un cadre propre, lumineux, accueillant et financièrement accessible.
AXA est le payeur de la facture au global. Nous sommes donc vraiment iincités à ce que le coût de ce service médical soit optimal et juste. Entendre les gens qui nous donnent un NPS de 82-84 nous dire : « C’est génial, nous allons à un seul endroit, nous ne sommes pas traités comme du bétail et nous pouvons nous faire soigner et soigner nos enfants », c’est extraordinaire !
Il faut savoir que je ne suis pas du tout entrepreneur de nature, je suis avant tout un stratège.
J’ai commencé par travailler dans un cabinet de conseil et toute ma vie reposait sur du PowerPoint.
Je suis ensuite entré chez AXA par le biais du PowerPoint, j’étais responsable de la stratégie du groupe pendant plusieurs années. Ensuite on m’a dit « si tu veux continuer à grandir dans le groupe, il va falloir avoir un vrai job et aller sur le terrain ». Il se trouve que depuis mon poste à la stratégie j’avais écrit la feuille de route du déploiement en Afrique.
Pour cela, j’avais creusé la stratégie optimale qui visait à répondre à la question suivante : si AXA veut être présent sur le continent africain, comment pouvons-nous y aller ?
Puis, la suite s’est enchainée « Tu as écrit l’idée, maintenant tu vas aller la réaliser ». C’était un défi assez impressionnant : arriver en Égypte, au Nigéria, ouvrir des entreprises dans des pays où nous n’étions pas présents. Démarrer from scratch.
C’est chouette de concevoir un projet et d’être amené à le réaliser tel qu’on l’a rêvé. Néanmoins, quand on descend de l’avion avec un ordinateur et une carte de crédit, on fait moins le malin !
Par où commencer ? Ce n’est pas évident mais c’est une aventure formidable !
3. Quels impacts ont vos émotions sur votre travail ?
Khaled El Shaarany : De nature, je suis une personne sensible aux émotions car je ne conçois pas de travailler dans un endroit où l’aspect humain de notre relation n’est pas pris en compte.
Cela couvre beaucoup d’angles : le respect des valeurs, le respect des individus et l’inclusion, des éléments de justesse et d’objectivité, de bien se traiter les uns et les autres. Ce n’est pas parce qu’on est dans le stress, qu’il y a des deadlines, que c’est compliqué, qu’on doit se priver d’entretenir de bonnes relations les uns avec les autres.
Le travail est l’endroit où on passe un maximum de temps dans notre journée il est donc important que ça se passe bien. Pour moi, « se passer bien » c’est physique : la température, le confort de la chaise sur laquelle on est assis, mais c’est aussi le confort émotionnel.
Je tire ma satisfaction du fait qu’il y a un confort émotionnel pour chacun des collaborateurs.
Globalement dans le milieu de l’entreprise les gens ne s’expriment pas vraiment, n’expriment pas leurs craintes. Ils ont le sentiment de devoir projeter une image forte, professionnelle, par crainte d’apparaître plus faible que leur collègue. Ils voient leur collègue comme un compétiteur plutôt qu’un supporter. Je pense que dans de nombreuses situations, reconnaître que nous avons des craintes, des angoisses, des peurs, est une bonne chose.
4. Racontez-moi une expérience dans laquelle vous vous êtes senti dépassé par vos émotions (ou vous avez craint d’être dépassé) ?
Khaled El Shaarany : J’ai deux expériences en tête, assez récentes, une plutôt avec des émotions négatives et une avec des émotions positives.
Dans mon équipe de dentistes, il y avait une très mauvaise ambiance avec une personne toxique, de mauvais résultats d’enquête de satisfaction interne.
Nous avons organisé une journée en dehors du site pour comprendre, écouter, entendre leurs insatisfactions et faire un « reboot culturel ».
En fin de journée, une femme recrutée récemment, un peu timide, qui n’avait d’ailleurs pas dit grand-chose de la journée, se lève et trouva le courage de s’exprimer. Elle déclara qu’elle se faisait harceler moralement par certains de ses collègues. Il s’agissait de ceux qui étaient justement responsables de cette ambiance toxique.
J’étais touché par son témoignage, aussi timide soit-il, par le courage dont elle faisait preuve en faisant cela devant tout le monde. Elle a parlé et a décrit sa situation avec retenue. Il faut noter en plus que l‘affirmation des femmes en Égypte a encore du chemin à faire.
C’était très touchant. Je sentais ma colère monter, monter, c’était horrible. Au début, je ne disais rien. Je sentais mon corps imbibé de colère et devais me retenir pour ne pas exploser. J’étais submergé d’émotions. À la fois parce que ce témoignage était poignant et en même temps je ressentais une intense colère difficile à contrôler. C’était un moment où le contrôle des émotions a failli dérailler.
Le deuxième moment que je retiens est beaucoup plus positif.
Dans mon équipe la plus proche nous avons effectué un travail avec une coach externe. L’objectif était de mieux travailler ensemble. J’ai construit une équipe très hétérogène : des infirmières et infirmiers de catégories sociales émergentes, des chirurgiens et docteurs très arrogants, des personnes venant du business financier AXA espagnol. Une équipe qui n’est pas faite pour travailler ensemble et qui doit travailler ensemble.
A l’issue d’un an de travail avec la coach, nous avons fait un bilan. Les témoignages des gens – qui habituellement se plaignent les uns des autres – ont été très positifs. Ils ont prononcé des mots très encourageants sur les progrès réalisés, sur combien ils travaillent mieux ensemble et partagé leur plaisir d’être dans ce collectif. J’étais à nouveau submergé d’émotions, j’avais des frissons, envie de pleurer, je trouvais ça génial.
C’était à la fois un élément de succès, de fierté, j’étais touché.
C’était un moment de tendresse collective dans un contexte où il n’y en a pas assez.
Dans les deux exemples cités, j’ai fait fonctionner la vision méta. Je me suis vu d’en haut marcher avec mon corps qui se raidit. Je savais que j’étais observé de gauche de droite, de face, et tout de suite le rationnel a pris de dessus « Attention, tu es observé, tu as aussi la responsabilité de montrer l’exemple ». Je suis rentré dans un process d’interaction : j’ai pris le contenu de l’émotion qui était essentiel, l’indignation sur ce qu’il s’est passé, et j’ai essayé de l’enrober dans un format de communication plus acceptable.
Je me suis arrêté de marcher. Je me suis retourné vers les personnes, ai laissé place au silence et pris une grande inspiration (pour que ma voix ne tremble pas). Je n’ai pas réagi tout de suite.
5. Quelles sont vos techniques pour rester confortable dans des situations qui vous impactent émotionnellement ?
Khaled El Shaarany : C’est difficile à dire car globalement je suis quelqu’un de très mesuré. Je suis quelqu’un qui a beaucoup de recul. Je suis très analytique, très objectif, je ne laisse jamais mes émotions prendre le pas. J’essaie d’être conscient des émotions des autres. Je me projette beaucoup, j’essaie de me mettre à la place de la personne qui est en face de moi pour contextualiser sa réaction et ainsi mieux comprendre la mienne.
J’essaie de voir cela d’en haut, de prendre de la hauteur. Je me vois dans les loges en train de regarder la danse. Je me remémore régulièrement qu’il s’agit d’interactions contextualisées. Cela fonctionne la majorité du temps et si ce n’est pas efficace, c’est de toutes façons une bonne chose de montrer de l’émotion. Cela peut encourager mes collaborateurs à faire de même. Je suis en train d’apprendre à laisser davantage mes émotions apparaître pour autoriser les autres à exprimer les leurs.
6. Comment définissez-vous l’épanouissement professionnel ?
Khaled El Shaarany : L’épanouissement professionnel est pour moi un bon équilibre vie privée-vie professionnelle.
Il n’y a rien qui vaille de sacrifier une heure à jouer aux Légos avec mon fils, à se balader avec mon épouse, ou dessiner avec ma fille. Je pense qu’un job qui me prend des moments familiaux est un job que je ne veux pas avoir.
C’est d’autant plus important après le Covid où ce temps que nous avons passé confinés ensemble, à prendre nos trois repas ensemble a vraiment changé ma perspective de ce qui est un bon moment et de ce que je veux faire.
Pour moi désormais, au moins deux repas par jour pris en famille (petit déjeuner et le diner) sont nécessaires. Si j’ai un job qui m’emmène trop loin de mes priorités, il n’est pas bon pour moi.
L’épanouissement professionnel est aussi le sens.
Un sens où j’ai l’impression de ne pas heurter mon goût pour la justice sociale. Un sens et un endroit avec, en anglais on dit de la « kindness » autour de moi. La « kindness » correspondrait à la bienveillance et la gentillesse.
Je suis animé d’un vrai souci de faire en sorte que mes collaborateurs se sentent bien dans leur quotidien professionnel.
Nous ne sommes pas obligés, parce que nous poursuivons des objectifs de fin d’année, de profits financiers, de le faire d’une manière qui ne soit pas bienveillante et attentive. Il suffit juste d’y penser.
Un dernier point important pour moi, c’est la dimension culturelle. Le fait de travailler avec des Nigérians, des Égyptiens, éloignés de la sophistication du travail que nous en avons en France ou en Europe.
Par exemple, prenons le cas de l’inclusion, des genres, des orientations sexuelles ou religieuses, ce sont des sujets secondaires pour des personnes qui travaillent en Afrique.
Ici, la principale préoccupation est de pouvoir subvenir à ses besoins dans un monde où la macro-économie est en difficulté, où l’inflation est horrible, où il y a des dévaluations de la monnaie locale.
Cela relativise beaucoup des sujets plus sophistiqués comme celui des émotions au travail dont nous venons de parler. De même, les sujets d’inclusion ou le climat, qui sont des sujets très importants pour tous, sur la pyramide de Maslow de ces populations, ont une importance tout à fait secondaire. Ils recherchent simplement un salaire décent.
Toute relation professionnelle entre collègues commence donc par ma capacité à proposer un salaire honnête et digne.
Toutes les parties émotionnelles tomberont à l’eau si la partie financière et pécuniaire n’est pas satisfaisante pour eux.
J’ai vécu plusieurs courbes d’apprentissage : parler du bien-être, de la santé mentale ou du climat, ils n’en ont vraiment rien à faire. La seule discussion est de savoir de combien je vais les augmenter cette année.
Le bien-être et les émotions sont complètement ancrés sur cela. Si on ne les rencontre pas sur ce terrain, si on est trop sophistiqué, on passe à côté de leurs réalités.