Vous souhaitez prendre RDV avec Mathilde ? Cliquez ici
Pour à la fois sensibiliser au rôle et à l’impact des émotions dans le travail mais aussi libérer la parole émotionnelle, Fullémo réalise un recueil de témoignages sincères et authentiques.
Il s’agit de répertorier les bonnes pratiques sous forme d’interviews écrites autour de six questions dont les réponses contribuent à l’éveil général.
Par ces partages d’expériences issues de tous types d’environnements, nous souhaitons diffuser des grilles de lecture, des manières d’aborder les situations qui peuvent résonner et inspirer nos lecteurs et ainsi favoriser leur épanouissement professionnel.
Pour en savoir plus sur les motivations à l’origine de ce recueil de témoignages : cliquez ici
Florence Servan-Schreiber est journaliste, autrice et conférencière spécialisée dans la psychologie positive. Elle dirige l’organisme de formation Essentia Conseils dédié à l’enseignement d’approches thérapeutiques complémentaires ou de techniques de développement personnel.
Une interview pleine d’énergie positive et un superbe partage d’expérience. Merci Florence pour cet échange pop !
1. Comment définissez-vous votre métier ?
Florence Servan-Schreiber : J’ai trouvé une affirmation qui résume mon métier en disant que « je suis professeure de bonheur ». Je viens raconter ce que des chercheurs universitaires déterminent dans leurs laboratoires. En mettant des gens comme vous et moi en situation, ces chercheurs identifient quels sont les comportements, les aspects de nos personnalités ou de nos organisations qui marchent et qui nous permettent de nous épanouir. Cet univers de recherche s’appelle la psychologie positive ou encore la science du bonheur. Comme je m’appuie sur les résultats de ces recherches, je passe l’information.
En tant que professeure de bonheur, je trouve des façons de l’appliquer, me les applique à moi-même et raconte ce qui m’arrive sous la forme de livres, de conférences ou encore de programmes que je crée : ateliers d’écriture, « master class de bonheur », etc.. Mon objectif est toujours de venir informer sur le sujet du bonheur.
Il y a un terme que beaucoup n’aiment pas mais qui me convient : la pop psychologie. Le sujet est la psychologie mais la forme, je la rends pop et sexy. Je ne sais parler qu’en couleurs et de fait, je simplifie le sujet.
L’apothéose de ce qui me plaît comme mélange a été la pièce de théâtre « La Fabrique à Kifs » parce que ni l’écrire ni la jouer n’étaient mes métiers à la base mais le résultat a été une application absolue de tout ce que je dis et de la façon dont je m’y prends.
2. Quel est le sens que vous donnez à votre Job ?
Florence Servan-Schreiber : J’ai compris ce que je fais dans la vie en lisant Sapiens en BD (Sapiens : Une brève histoire de l’humanité de Yuval Noah Harari), dans lequel l’auteur explique que ce qui différencie les humains des animaux, est d’avoir conscience de ce qu’ils voient. Les chimpanzés par exemple ne vont pas pouvoir faire confiance à plus d’une douzaine d’individus, présents dans leur champ visuel, ce qui limite la puissance du groupe.
Alors que les humains dépassent ce cadre grâce à la fiction. La possibilité de se raconter des histoires communes va fédérer une population. Ainsi fonctionnent les religions, les lois ou l’éducation. Nous choisissons à quelle histoire nous adhérons et le groupe est scellé. Parfois pour le pire, mais aussi pour le meilleur.
Mon métier consiste à raconter des histoires à ceux qui souhaitent alléger leur vie. J’offre un récit auquel on peut se raccrocher pour décider de tester des choses qui vont nous aiguiller vers du bonheur.
Mon intention est d’apporter de la légèreté et de créer une communauté autour de la possibilité de la légèreté.
Bien que formée en psychologie, je ne suis pas psychologue, je ne soigne personne. Je viens éduquer et alerter. Cela peut soigner mais ce n’en est ni l’intention, ni la promesse. Je préfère vous inciter décider par vous-même d’enrichir la gamme de vos comportements. La partie que je préfère est l’initiation. Ce qui me donne envie de continuer, est d’entendre quelq’un dire : « Je ne savais pas que ça existait ».
Je suis un être très excitable et tout part de « est-ce que tu sais que… ? » sur des sujets très variés : un bon restaurant mais aussi une autre manière d’être heureux. Je m’émerveille assez facilement et suis curieuse. J’ai un tempérament de sentinelle que je mets au service des autres selon le principe qui est que si ça m’est utile, il se peut que ce vous soit utile aussi.
3. Quels impacts ont vos émotions sur votre travail ?
Florence Servan-Schreiber : Mon premier filtre est émotionnel : il dicte l’effet que va me faire une information. Je ne me considère pas comme une intello, car ma réaction par l’émotion crée ma hiérarchie d’intérêt. L’excitation, est d’abord une réaction émotionnelle à quelque chose.
Je ne sais pas très bien distinguer l’excitation intellectuelle de l’excitation émotionnelle. Il y a tout de même une information qui rentre d’abord par le cerveau. Je suis avant tout une femme de tête.
Par exemple, quand j’ai découvert que si l’on éprouve de la gratitude on peut vivre plus longtemps*, j’ai ressenti une très grande excitation : « Wouah, ça mérite d’être essayé, c’est si simple » !
Dès lors que cela me donne envie de me lever le matin je constate que l’information résonne sur le plan émotionnel.
La limite à l’importance de ce filtre est que si je ne suis pas excitée, je suis désorientée. Par exemple, mon éditeur m’a contactée pour écrire un livre sur la respiration. D’un point de vue purement intellectuel, je pourrais dire oui. Mais cela ne résonne pas et l’idée d’effectuer un travail journalistique sur un sujet pour lequel je ne ressens rien ne me permet pas d’y consacrer tant d’effort. J’ai donc décliné : le sujet est intéressant mais je ne peux pas mettre de l’énergie dans quelque chose qui est strictement rationnel. Il faut que j’en éprouve le besoin, l’excitation, l’utilité, de l’intérêt, de la curiosité, il faut que ça parte de mon centre.
Tout ce que je fais avec entrain et avec passion me permet de régler quelques comptes avec moi-même. Pourquoi la gratitude me plaît autant ? Parce que je suis en fait quelqu’un d’assez critique. Quand je découvre qu’il y a des gens qui font le contraire que ce que je fais, à savoir, me plaindre de tout, je suis intriguée et j’essaie !
Si j’ai une telle réaction face à des informations, c’est que cela m’apporte quelque chose. Je suis persuadée que ce qui nous donne vraiment de l’élan c’est ce qui comble nos trous, trou du moment ou trou plus ancien. La motivation s’appuie sur de potentiels bénéfices secondaires.
Commentaires de Mathilde Héliès : De cette découverte, Florence a fait une conférence TEDx en 2012
4. Racontez-moi une expérience dans laquelle vous vous êtes sentie dépassée par vos émotions (ou vous avez craint d’être dépassée) ?
Florence Servan-Schreiber : Un moment où j’étais complètement dépassée et où j’ai triomphé de mes émotions a été autour de la pièce de théâtre « La Fabrique à Kifs ».
A l’origine, il y a une réflexion que je menais à l’occasion de l’écriture de « Power Patate », mon livre sur les supers pouvoirs. J’essayais de définir ce qu’étaient nos qualités, nos particularités et pour cela j’ai participé à des programmes et des ateliers.
Au cours de l’un d’entre eux en Angleterre, on me pose la question suivante : « Que vouliez-vous faire quand vous étiez petite ? ». La réponse qui me vient est que je voulais être Julie Andrews, cette actrice anglaise qui chante, danse, a fait du théâtre, a joué Mary Poppins et surtout le personnage de Maria dans la Mélodie du bonheur. Je m’avoue que j’aurai aimé être ce personnage quand j’étais petite. L’animateur de l’atelier me dit : « Et alors qu’allez-vous faire ? ». Je ne comprends pas la question et il précise : « Qu’allez-vous faire pour devenir Julie Andrews ? ». Je venais de me faire un aveu que je ne pouvais plus ignorer.
Je réalise alors que je me suis bricolé un métier qui ressemble presque à cela : je suis sur scène, je donne des conférences, mais je ne chante pas, je ne danse pas, et je choisis mon texte. Donc je n’en suis pas loin, mais je n’y suis pas complètement. Si je veux être vraiment fidèle au désir de la petite fille qui m’habite, il faut aller plus loin et ainsi naît l’envie de faire cette pièce de théâtre.
Je tombe sur deux autres femmes qui partageaient ce fantasme. Nous commençons à travailler avec un metteur en scène qui nous fait réserver un théâtre pour une date deux ans plus tard : « Il n’y a pas de pièce de théâtre sans théâtre ». Nous passons deux ans à écrire, nous amusant beaucoup et travaillant finalement avec une metteure en scène, notre quatrième merveille. Nous en oublions la réservation. Et alors que nous étions tranquillement en train de tourner autour du pot, de prendre notre temps, de rire, six semaines avant les dates réservées, la salle nous rappelle notre engagement ayant déjà vendu des places à des abonnés. Nous ne pouvions pas nous défiler. Ça s’est emballé. J’ai alors découvert ce qui signifiait le sentiment d’être complètement dépassée par ses ambitions, ses désirs et pulsions.
J’étais incapable de me souvenir de mon texte. Ma mémoire est désastreuse et il fallait mémoriser une heure et demie de dialogues et de déplacements… Nous avons toutes les trois développées des maladies imaginaires ! Et puis il y a eu un moment encore pire, à l’ouverture de la billetterie : nos réseaux étaient tels que les deux dates se sont vendues en trois heures, alors que nous avions le secret espoir que les gens ne viendraient pas…
Nous avons eu très peu de répétitions car nos agendas étaient déjà chargés. Le jour fatidique de la première, j’ai rarement eu aussi peur physiquement : peur d’oublier mon texte, peur que ce soit une catastrophe, peur que ce soit un succès, absolument tout me faisait peur. Nous avons survécu et déroulé notre texte. Physiquement cela a été tellement intense que je n’ai pu sortir de ma robe tant j’avais transpiré pendant le spectacle, mais l’ensemble des sensations provoquées a été quelque chose d’absolument incroyable !
Ce que je retiens de cette expérience est que deux heures avant j’aurais dit que j’étais allée trop loin dans l’assertion « tout ce qui n’est pas mort en nous a besoin de vivre », mais in fine, j’ai bien fait de le faire.
Le trac s’est transformé en hyper concentration. J’avais comme l’impression de vivre cela de l’extérieur, puis j’ai été épatée par ce que nous avions accompli. Nous avons ensuite tourné pendant trois ans sur des scènes dans toute la France et j’ai goûté au fait de progresser jusqu’au bonheur de la maîtrise. Dans nos vies d’adultes, on ne se met plus tellement dans des situations de progrès alors qu’enfant, nous le faisions tout le temps.
Cette pièce de théâtre a été une centrale à émotions gigantesques et positives.
A l’inverse, la crise du Covid m’a précipitée dans une angoisse très forte car je dirige une entreprise de formation de dix personnes. En mars 2020, nos formations se tenaient entièrement en présentiel. La difficulté, le risque, l’angoisse, pour moi qui cherche la légèreté, j’ai détesté cette période !
Néanmoins, j’éprouve de la fierté face aux bonds de géants que nous avons réalisés. Le point commun entre ces deux expériences : j’étais autant amatrice sur une scène de théâtre que confrontée à une pandémie m’amenant à transformer un business !
C’est l’adaptation aux circonstances, qui va le plus me réveiller.
5. Quelles sont vos techniques pour rester confortable dans des situations qui vous impactent émotionnellement ?
Florence Servan-Schreiber : Clairement dans les deux cas ce qui m’a interdit de reculer, c’est l’engagement envers d’autres personnes. Je ne pouvais pas me dégonfler et risquer d’entraîner des gens auprès desquels je m’étais engagée.
Je ne peux pas précipiter consciemment les autres dans un risque. Dans les deux cas, si je ne le faisais pas, les systèmes s’écroulaient. Je possède probablement un sens des responsabilités que je trouve très utile car il me permet de ne pas me dégonfler. Cette responsabilité me permet d’alimenter et de mobiliser le courage, de ne pas laisser trop de place au doute. Le courage me donne de l’énergie.
Si on considère la scène, c’est particulier. Le trac est physique et se règle à coup de rituels : maquillage, blagues, quelque chose de l’ordre de la préparation qui permettent de penser à autre chose.
De même pendant le confinement, nous avions des rituels avec mon équipe. On commençait chaque jour par un échange collectif à 10h, qui nous a permis de passer la difficulté de la période. Un point fixe quand on est perdu permet de créer un repère
6. Comment définissez-vous l’épanouissement professionnel ?
Florence Servan-Schreiber : L’épanouissement professionnel se manifeste lorsqu’on n’a pas l’impression de travailler. Dans ces moments-là, je travaille absolument tout le temps mais je ne sens pas l’effort puisque cela me nourrit.
Quand un e tâche est technique, non alignée, que ce n’est pas notre choix, on peine, c’est difficile. Quand cela répond à mes valeurs, mes compétences, mon style et que les effets produits reviennent comme un boomerang positif, je n’ai pas du tout l’impression de travailler.
Et le fait de me sentir reliée aux autres par mon travail nourrit aussi profondément mon épanouissement.