Libérer la parole émotionnelle en entreprise
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Fullémo réalise un recueil de témoignages permettant d’une part, de sensibiliser au rôle et à l’impact des émotions dans le travail et d’autre part, de libérer la parole émotionnelle en entreprise.
Il s’agit de répertorier les bonnes pratiques pour contribuer à l’éveil général.
Par ces partages d’expériences issues de tous types d’environnements, nous souhaitons diffuser des grilles de lecture, des trucs et astuces, des manières d’aborder les situations qui peuvent résonner et inspirer nos lecteurs.
Notre intention à travers ces éclairages est d’aider nos lecteurs à lutter contre la fatigue émotionnelle et favoriser leur épanouissement professionnel.
Pour en savoir plus sur les motivations à l’origine de ce recueil de témoignages : cliquez ici
Témoignage de Gilles Courteix
Gilles Courteix, est d’abord un entrepreneur, président du Groupe Courteix et Président du MEDEF Lyon-Rhône.
Son maître mot : la CONFIANCE
Vous découvrirez aussi combien Gilles est sensible aux énergies et à comment il s’appuie sur son intuition.
Comment définis-tu ton métier ?
Gilles Courteix : Mon rôle aujourd’hui au sein du MEDEF que je préside, consiste à prendre des décisions et je veille à ce qu’elles soient prises collectivement. Cela apporte une richesse et m’a souvent aidé à prendre des décisions différentes.
J’ai donc une forte écoute des autres : j’écoute tout le monde et soit cela conforte mon idée, soit cela peut la remettre en cause.
Le MEDEF est un syndicat de chefs d’entreprise, il faut aussi travailler dans un temps long. Au MEDEF, je représente l’ensemble des entreprises, je dois donc parvenir à une décision acceptée par tous les membres de l’exécutif pour obtenir un consensus. Cela demande de la préparation et du temps. Quand je prends une décision, le temps est beaucoup plus long à la présidence du MEDEF qu’à la présidence de mon entreprise.
Si je ne prends pas ce temps, la décision ne fonctionnera pas de la même façon, c’est certain.
Il faut du temps pour connaître ses collaborateurs et pouvoir ensuite les développer. À mon arrivée, j’ai pris la température, rencontré les gens, me suis fait mon idée, puis nous avons travaillé ensemble sur les axes forts du mandat sur lesquels nous étions tous alignés. Nous pouvions alors dérouler le plan d’actions.
Je me nourris de la confiance que les autres m’accordent.
Cette confiance est une qualité de travail, de collaboration. Quand la confiance est instaurée, tout est plus fluide. Il n’y a pas d’intérêts particuliers au MEDEF, on agit dans l’intérêt général. Il en va de même dans l’entreprise : je prends les décisions dans l’intérêt général de l’entreprise.
Quel est le sens que tu donnes à ton job ?
Gilles Courteix : Le sens c’est le sens de l’engagement, du collectif et aussi quelque part rendre ce que j’ai reçu.
Dans mon parcours syndical, c’est ce qui m’a permis de grandir parce que je suis passé par tous les échelons du syndicalisme patronal : je suis entré comme simple adhérent dans une fédération du bâtiment, j’ai ensuite intégré une chambre puis j’ai pris la présidence d’une chambre de spécialité.
J’ai grandi, j’ai appris, j’ai échangé avec des représentants nationaux, des représentants d’ETI, TPE, PME, c’est très riche.
J’ai aussi appris à me protéger car nous ne pouvons pas tout nous dire étant en concurrence sur certains marchés.
Nous évoquons les sujets qui nous rassemblent plutôt que ceux qui nous divisent. De même au MEDEF, il faut plutôt travailler sur les sujets qui renforcent le collectif et nous rassemblent.
Quels impacts ont tes émotions sur ton travail ?
Gilles Courteix : L’impact de mes émotions est fort, encore plus fort au MEDEF parce que ce temps long est contre ma nature.
Dans l’entreprise, j’écoute et j’agis, j’aime cette forme de rapidité. Au MEDEF, comme je ne suis pas dans la rapidité, je ne dois pas montrer mon impatience ou ma contrariété par exemple.
Au sein du Groupe Courteix, quand les collaborateurs avec lesquels je collabore depuis longtemps me voient arriver le matin, si ce n’est pas un bon jour, ils sont capables de le détecter. C’est là où il y a une relation forte, ils se disent : “Ah ce n’est peut-être pas le jour où aller le voir. On ne va peut-être pas aller sur ce sujet délicat et attendre un autre jour”. C’est une forme de grande intelligence.
Quand je crée la relation, je suis sensible à l’énergie que la personne dégage, à ce que je ressens dans le regard, l’attitude. C’est une question de vibrations et je suis pourtant très cartésien. C’est binaire pour moi : je sens ou je ne sens pas. Certaines personnes sont solaires, et il y a des personnes au contraire au contact desquelles mes batteries se vident.
Ma première impression est toujours la bonne. Dans l’entreprise lorsque je dois prendre une décision, si je tourne, si je ne sais pas si on va y aller ou pas, neuf fois sur dix, il faut mieux ne pas y aller.
Je m’appuie sur ce côté intuitif, mon sentiment et le processus rationnel.
D’ailleurs, mes collaborateurs décodent ma gestuelle, notamment les moments où j’allume une cigarette. Par exemple, un jour ils m’ont présenté un terrain pour un futur projet de l’entreprise. Je suis arrivé et ai rapidement allumé ma cigarette, pour eux cela signifiait que je me projetais. J’ai donc des gestes que je ne maîtrise pas, qu’ils détectent pour savoir si un projet me plait.
Je ne me fie pas 100% à mon feeling, il faut bien sûr toujours réétudier. J’ai la chance d’avoir des collaborateurs associés dans l’entreprise et c’est à eux de me convaincre.
Une fois qu’on a décidé d’une opération, je ne suis pas quelqu’un qui revient en arrière. Dans la vie, je réfléchis et une fois que j’ai décidé, j’assume et ne reporte la responsabilité sur personne.
Il y a parfois des résistances que je ne peux pas expliquer, que je sens. Tout comme dans ma vie personnelle. Je veux des choses qui soient bonnes pour moi et dans lesquelles je vais trouver du plaisir, je ne veux plus me forcer, je ne suis plus dans cette obligation-là.
Au MEDEF, il y a une équipe restreinte d’une douzaine de personnes, une équipe jeune avec des alternants. J’ai appris à les connaître vraiment pendant les huit mois où je n’avais pas plus de directeur général et j’étais donc en direct avec eux. Cela a été très riche pour moi pour créer la confiance. Si je n’ai pas confiance, je ne peux pas, c’est plus fort que moi.
Cette relation de confiance est un véritable confort de travail. Je ne pourrais pas travailler sans cela.
Cela libère de l’énergie, j’aime quand les gens rigolent, il ne faut pas se prendre au sérieux.
Les gens que j’ai autour de moi, en entreprise comme au bureau du MEDEF, ce sont des gens que j’aime, avec lesquels j’ai construit une relation. Je suis content de les avoir avec moi. Nous avons un respect mutuel, nous nous apprécions, nous nous disons les choses. Il n’y a pas de tabous, face à un problème nous réfléchissons ensemble.
Le Président, c’est quelqu’un qui rassemble. Dans une entreprise c’est pareil, le manager rassemble. Ce n’est pas possible de dresser les gens les uns contre les autres. Toute l’énergie à se battre en interne n’est pas mise dans son objectif. La confiance est un confort indispensable.
J’ai appris récemment qu’un de mes collaborateurs avait eu une proposition d’embauche et a dit “j’ai trop d’attachement à Gilles, il a été là quand j’ai eu des moments difficiles et je ne peux pas lui faire ça, je reste à ses côtés parce que je suis bien, ça se passe bien”.
En effet, quand mes collaborateurs ne vont pas bien, que je le perçois, je leur pose des questions, propose mon aide. C’est normal, c’est notre rôle d’être à leurs côtés le jour où ils ont un problème.
Par exemple, j’ai eu dans l’entreprise des cas de divorce. Quand les personnes divorcent, c’est compliqué, cela les déstabilise dans leur travail. Quelqu’un qui est bon ne devient pas mauvais du jour au lendemain, il y a bien une raison, il faut essayer de comprendre pourquoi, et, si on peut l’aider, il faut l’aider. C’est normal, on a tous des hauts et des bas.
Le propre d’un dirigeant, c’est de ne pas montrer quand il est en bas. Il n’a pas à le faire supporter aux autres. S’il arrive un coup dur à l’entreprise, c’est le dirigeant qui doit absorber, prendre calmement, tranquillement, ne pas s’énerver. Dès qu’on s’énerve, les collaborateurs identifient qu’il y a un problème, et qu’il peut être grave.
Notre rôle est d’être le buvard, d’absorber et après rediffuser doucement.
Raconte-moi une expérience dans laquelle tu t’es senti dépassé par tes émotions (ou tu as craint d’être dépassé) ?
Gilles Courteix : Dans une période très compliquée pour la promotion et la construction immobilière, j’étais dans une phase de confortement de l’entreprise et j’ai appris que le client pour lequel je travaillais n’allait plus me payer et arrêter le chantier.
Je prends la mesure de l’impact et vois tout de suite la chaîne de conséquences, notamment financières, avec un risque d’impayés. Nous étions payés 60 jours fin de mois cela faisait 3 mois de production plus le mois en cours. « Si je perds 4 mois de production, je n’existe plus ».
Là je n’avais plus mon destin en main, il ne dépendait plus de moi mais d’une personne qui ne remplissait pas ses obligations. Il ne faut pas montrer sa réaction aux collaborateurs et tout de suite réagir « Qu’est-ce que je peux faire ? ». J’étais à la fédération du BTP que j’ai sollicité : « voilà ce qui m’arrive, avez-vous déjà eu le cas, comment procéder ? ». Comme cette situation avait déjà été rencontrée par un adhérent, j’ai suivi le conseil appliqué « il a pris l’hypothèque sur la construction ». Cela a sauvé l’entreprise.
A l’époque, j’avais 35 ans, j’étais confiant sur mes capacités à repartir, mon inquiétude concernait mes collaborateurs, fournisseurs et l’effet cascade.
Plusieurs sentiments pouvaient se mêler comme l’échec et la honte : ai-je commis une erreur en prenant ce marché ? Ai-je pris assez de garanties ? J’ai tout remis en cause. J’ai pensé au pire, mais suis passé rapidement au mode action. J’ai touché le fond mais n’y suis pas resté. Toucher le fond n’a pour intérêt que de s’appuyer dessus pour repartir. Toucher le fond et stagner en bas comme une raie au fond de la mer est inefficace.
Cela a eu un impact à long terme sur ma façon de piloter. Désormais, le risque est un paramètre que j’intègre systématiquement dans mes décisions : « Il faut toujours savoir peser le risque », « si cela arrive, dans quelle position serons-nous ? », « est-ce que cela peut mettre l’entreprise en péril ou non ? ».
Lors de cette expérience, j’ai « vu la trappe s’ouvrir », je ne suis pas tombé dedans mais je ne veux surtout pas recommencer. J’ai appris. Nous n’apprenons que de nos expériences, pas de celles des autres.
Un échec doit être transformé en positif : analyser pourquoi je n’ai pas réussi afin de réussir la deuxième fois.
En revanche, je refuse de commettre la même erreur deux fois !
Quelles sont tes techniques pour rester confortable dans des situations qui t’impactent émotionnellement ?
Gilles Courteix : Mon équilibre c’est ma famille, ma femme, mes enfants. Je me ressource auprès d’eux.
Dans la journée, si je suis dans la voiture par exemple, je vais mettre de la musique.
C’est aussi relativiser : je suis en bonne santé. Il faut reconnaître qu’avec le temps je relativise beaucoup plus. C’est l’expérience. « Je ne vais pas me rendre malade, je vais me calmer… »
Je me projette, je pense à des choses sympas qui vont arriver.
Quand j’arrive dans l’entreprise, je retrouve mes collaborateurs, je suis content.
Dans les moments très graves, je suis d’un calme olympien.
Je sais que c’est avec ce calme que je parviens le mieux à réfléchir et entrevoir les solutions.
Dans la colère et l’énervement je n’y arrive pas parce que je vais mettre en avant des motifs qui ne sont pas forcément les bons et je ne vais pas aller chercher les solutions les plus adéquates.
J’ai appris à me maîtriser en me rendant compte de ce que je peux faire quand je suis énervé et ce que je peux faire quand je suis calme.
Par exemple, auparavant, je recevais un mail et étais capable de prendre mon téléphone dans les 30 secondes. Ce n’est pas bon car c’est la colère qui prédomine, non la réflexion. La colère est mauvaise conseillère.
Maintenant je laisse toujours passer une nuit. La nuit porte conseil. Je ne réagis plus à chaud. Souvent avec mes proches, nous parlons d’un sujet et nous nous disons « On verra demain matin ». En me couchant, j’ai le problème, en me réveillant j’ai la solution.
Plus jeune, je pouvais être impulsif, c’était ma personnalité. J’ai travaillé au fil des années car ce n’était pas productif.
Comment définis-tu l’épanouissement professionnel ?
Gilles Courteix : L’épanouissement professionnel c’est être dans un métier qui te plait. Être dans un métier uniquement pour l’argent, ce n’est pas bon car de toute façon tu ne seras pas bien au fil du temps. Il faut être capable de faire le choix de gagner moins d’argent au départ pour peut-être être beaucoup plus heureux et trouver son équilibre. C’est difficile de trouver l’équilibre qui permet d’être heureux.
L’épanouissement c’est la recherche du bonheur à travers ce que tu vis. C’est être optimiste. Il est toujours possible de voir les choses du mauvais côté mais quelle perte de temps ! Profite du moment présent.
L’épanouissement c’est prendre du plaisir à faire ce que je fais, avec les personnes avec lesquelles je le fais. La dimension affective est importante pour moi.L’humain est ce qui m’a donné mes plus grandes joies et a créé mes plus grandes déceptions. Je fais confiance à l’humain car c’est ce qui me fait avancer. Nous gagnons à être dans la confiance plus que dans la méfiance. Dans la confiance, les gens s’épanouissent, il y a une relation qui se construit et se nourrit dans le temps. C’est dans les moments difficiles que l’on reconnaît les gens qui nous entourent, pas dans les moments faciles.