Blog des sérials learners

PORTRAIT ÉMOTIONNEL #48 Témoignage de Franck BOUCAUD-MAITRE

Libérer la parole émotionnelle en entreprise

Fullémo réalise un recueil de témoignages permettant d’une part, de sensibiliser au rôle et à l’impact des émotions dans le travail et d’autre part, de libérer la parole émotionnelle en entreprise.

Il s’agit de répertorier les bonnes pratiques pour contribuer à l’éveil général.

Par ces partages d’expériences issues de tous types d’environnements, nous souhaitons diffuser des grilles de lecture, des trucs et astuces, des manières d’aborder les situations qui peuvent résonner et inspirer nos lecteurs.

Notre intention à travers ces éclairages est d’aider nos lecteurs à lutter contre la fatigue émotionnelle et favoriser leur épanouissement professionnel.

Pour en savoir plus sur les motivations à l’origine de ce recueil de témoignages : cliquez ici

Témoignage de Franck BOUCAUD-MAITRE

Cette semaine c’est Franck Boucaud Maître, directeur général de la Maison Café Chocolat Voisin, qui se livre auprès de Mathilde Héliès dans son rapport aux émotions au travail.

Véritable « éponge émotionnelle », Franck est très attaché au savoir-être de ses collaborateurs et à entretenir un climat profondément positif pour les emmener vers de nouveaux projets. C’est sa recette pour maintenir un niveau d’implication et de motivation maximal.

Très proche de ses équipes, dont il assure lui-même une grande partie du recrutement, Franck est à l’écoute de ses collaborateurs, ce qui lui permet de « résoudre 80% des problèmes ».

L’alignement de valeurs et l’engagement de l’entreprise permettent à la Maison Café Chocolat Voisin d’envisager de devenir entreprise à mission dès 2024, une reconnaissance méritée des valeurs portées depuis plusieurs générations.

Peux-tu te présenter ?

Franck Boucaud-Maitre : Je suis directeur général avec mon cousin de la maison Cafés Chocolats Voisin qui est une entreprise familiale centenaire dans les domaines du plaisir et du sens que sont le café et le chocolat essentiellement, ainsi que tous les produits annexes gourmands.

Nous sommes 190 personnes aujourd’hui et cela peut aller jusqu’à 250 lors des périodes de Noël et Pâques. Cela fait partie de nos particularités de chocolatier. Pâques et Noël représentent 60% du chiffre d’affaires réalisés en moins de deux mois.

Comment définis-tu ton métier ?

Franck Boucaud-Maitre : Nous avons un métier qui s’articule autour de trois valeurs :

  • Le plaisir : celui que nous donnons au consommateur, celui de partager des projets et de se retrouver en équipe pour créer, améliorer, pérenniser les savoir-faire. Tout cela en restant guidés par des objectifs de transmission et d’amélioration,
  • L’expertise et l’excellence : nous avons la chance de disposer d’une brigade d’une cinquantaine de maîtres chocolatiers. Nous avons la force d’une entreprise de taille intermédiaire tout en conservant des savoir-faire artisanaux ancestraux. Certaines recettes n’ont pas changé depuis près de cent ans ! Parallèlement, nous innovons et développons de nouveaux projets,
  • Le sens, dans chacune de nos actions : dans notre manière d’acheter et de travailler auprès de toutes les filières autour du café, du chocolat et des autres produits agricoles. Nous travaillons avec des petits producteurs, nous avons un cacao 100% durable qui passe par une fondation. Pour le café, nous travaillons en direct avec des planteurs. Pour tous les fournisseurs de matières premières nous sourçons essentiellement dans la région. Cela est vrai pour nos emballages, comme pour nos matières premières telles que fruits, alcool…

Enfin le sens, c’est d’emmener tous les collaborateurs dans la même direction et qu’ils en soient fiers.

Ce qui émerveille le plus quand l’on fait visiter le site c’est l’ambiance de travail qui règne et la complicité que les gens nourrissent entre eux. Les collaborateurs se sentent plutôt très bien, d’ailleurs l’ancienneté moyenne est de 20 ans.

Notre challenge est justement de faire en sorte que ces personnes qui sont là depuis très longtemps, gardent un niveau de motivation et d’implication maximal. C’est cela qui m’anime : que peut-on faire à travers des projets, des évènements, des partages de valeurs pour garder les équipes à ce niveau de motivation ?  

Tout en sachant que je ne crois absolument pas à la pression. C’est un mot à bannir du vocabulaire de notre organisation. La pression, c’est pour les ânes : le jour où on enlève l’épée dans le dos des gens ils n’avancent plus. Alors quesi l’on parvient à les motiver par des aspects qui les font avancer, la pression, ils se la mettent eux-mêmes, d’ailleurs ce n’est pas de la pression mais de l’engagement. Comment transformer la pression en engagement ? Le voilà le challenge. Et je pense que nous sommes globalement plutôt bons là-dedans.

Quel est le sens que tu donnes à ton job ?

Franck Boucaud-Maitre : Je suis quelqu’un qui s’épanouit avec les autres.

Mon plaisir vient du sourire des collaborateurs, dans l’envie de monter des projets ensemble. Il vient aussi de la nouveauté, parce que nous avons besoin de créer des produits en permanence. Nous essayons aussi de diversifier nos activités parce que nous avons aussi besoin de nous nourrir dans les projets. Ce sont deux pans vraiment importants.

Le sens change avec l’âge : avant j’avais une approche qui se déclinait par « plus haut, plus vite, plus fort ».  Maintenant c’est plus agréable, plus sensé et plus partagé. Essayer de réfléchir aux vingt prochaines années, c’est ça la bascule.

Quels impacts ont tes émotions sur ton travail ?

Franck Boucaud-Maitre : Mes émotions sont mon travail. Le problème est leur force. C’est parfois compliqué. Je suis une éponge émotionnelle : je me nourris des gens, du bon comme du mauvais.

En outre, j’ai tendance à vivre ce que ressentent les autres.

Heureusement, nous n’avons que des gens positifs dans l’entreprise : une entreprise de 200 personnes où il n’y a pas de syndicat et où les seuls débats du CSE sont le kart ou le paint ball, je n’en connais pas beaucoup. Depuis 20 ans, il n’y a eu que 2 prud’hommes.

Face aux émotions de mes collaborateurs, écouter permet déjà de résoudre 80% des problèmes.

Il faut être capable d’écouter, de comprendre, puis de voir comment aider, soutenir dans la limite de ma fonction C’est important par exemple d’aller saluer tous ses collaborateurs le matin. C’est le moment où s’ils ont quelque chose à vous dire, ils peuvent le faire. Il ne s’agit pas pour autant d’être intrusif dans la vie des collaborateurs, le respect de la vie privée est vraiment important. Mais nous sommes invités aussi bien aux mariages qu’aux enterrements, aux évènements importants de la vie de nos collaborateurs. Nous sommes présents, accessibles et à l’écoute, et on nous le rend mille fois.

Nous avons eu le label EPV, Entreprise du Patrimoine Vivant, c’est la reconnaissance de l’excellence des savoir-faire français.

J’ai envie que nous ayons un label d’excellence des savoir-être, aussi nous allons passer en 2024 entreprise à mission avec des engagements forts. Un label, c’est juste une reconnaissance extérieure de ce que nous portons à l’intérieur depuis toujours. Le consultant qui nous accompagne sur ce sujet nous a dit qu’il n’y avait pas vraiment de nouveaux objectifs à fixer, que nous étions déjà alignés dans la philosophie, le sens, l’engagement pour être entreprise à mission.

Raconte-moi une expérience dans laquelle tu t’es senti dépassé par tes émotions (ou tu as craint d’être dépassé) ?

Franck Boucaud-Maitre : Déjà, le propre de toute entreprise familiale, c’est la difficulté dans la gestion de conflits où l’on mélange le personnel (la famille) et le professionnel. C’est une force d’être une entreprise familiale, cela crée des fondamentaux importants. En revanche parfois dans certaines oppositions le côté personnel et émotionnel peut nous empêcher de prendre le recul nécessaire sur la bonne conduite et la bonne attitude à avoir.

Sinon je dois dire que licencier quelqu’un que j’apprécie humainement est une expérience émotionnellement compliquée pour moi. Recevoir la personne alors qu’au fond de moi j’ai un réel attachement est une vraie difficulté parce que je le vis à la place du collaborateur, et je ne le vis pas bien, même si c’est mérité. Chez nous, la justice et la droiture sont des valeurs essentielles. Nous avons un passé avec des dirigeants anciens militaires. Quand il faut se séparer de quelqu’un que l’on apprécie, c’est que l’on sait que cela ne fonctionnera pas. Je vis mal la chose car je la vis complètement, mais l’entreprise passe avant tout.

Quelles sont tes techniques pour rester confortable dans des situations qui t’impactent émotionnellement ?

Franck Boucaud-Maitre : J’essaie de m’y préparer. Je fais pas mal de sport, je cours, je m’entretiens chez moi où j’ai une salle dédiée.

Je fais le vide avant, j’essaie aussi de prendre du recul en positivant : la cause est au-dessus de la conséquence. Si ce n’était pas fait, les conséquences seraient pires que le mal. Je relativise, il n’est jamais question de vie ou de mort.

Je prends du recul et me dis que si ça ne se faisait pas, ce serait pire. C’est une espèce de justification de ce qui est fait et d’auto-conviction. Cela me rend sûr d’être aligné avec la décision. Si je sais que ce que je fais est bien pour l’entreprise, pour l’avenir, pour tout le reste, alors je n’ai pas de remords, même si cela peut me toucher vraiment.

J’ai envie de vivre mes émotions en accord avec ce que je suis.

Pour que mes émotions ne prennent pas le contrôle, je veille à ce que chacun soit bien dans son travail pour que finalement les émotions négatives ne prennent pas le pas sur le reste. C’est un travail au quotidien, le rôle d’un chef d’entreprise est de faire en sorte que les gens soient bien dans leur travail et à ce moment-là ils dégagent des émotions et une dynamique positive qui font profondément du bien.

Comment définis-tu l’épanouissement professionnel ?

Franck Boucaud-Maitre : L’épanouissement professionnel c’est l’alignement dans un cadre. C’est savoir que ce que l’on fait est positif. C’est travailler sur le haut de la pyramide de Maslow et sa quête de sens, quand les besoins de base sont comblés.

C’est avoir un impact positif sur ce que l’on va laisser plus tard et trouver des causes justes :  

Le Carré Voisin, notre incubateur de start-up, a été créé juste parce que nous sommes contents de le faire. Nous n’avons aucun intérêt à incuber des start-up et à les aider, nous n’avons pas d’intérêts financiers. La mise à disposition des locaux est réalisée dans des conditions exceptionnelles pour eux. Les incubés bénéficient aussi d’un nom et de nos conseils. Nous avons juste envie de contribuer localement à des réussites.

C’est cette reconnaissance qui est la plus belle finalement. A vingt-cinq ans, j’étais dans une start-up et j’aurais aimé être aidé comme nous le faisons aujourd’hui.

En conclusion ?

Pour conclure, j’aimerais partager une expérience agréable qui m’est arrivée hier. Je gère encore le recrutement en grande majorité, parce que je veux embaucher des gens qui ont un vrai savoir-être avant même un savoir-faire. Hier, j’ai donc eu le plaisir de recevoir une femme de 40 ans qui travaille dans une grande banque d’affaires suisse depuis quinze ans. Je lui ai demandé « Mais qu’est-ce que vous faites-là ? Vous répondez à une annonce de vendeur-conseil dans notre chocolaterie ! » Elle m’a répondu « Cela fait quinze ans que je ne trouve pas de sens dans mon travail. Quand j’ai lu l’annonce et maintenant que cela fait une heure que nous discutons dans votre bureau, je sais où j’ai envie d’aller, je sais quel sens j’ai envie de donner à mon travail. »

J’ai été flatté et content que nous apportions cela, c’est déjà un grand pas.

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