Vous souhaitez prendre RDV avec Mathilde ? Cliquez ici
Pour à la fois sensibiliser au rôle et à l’impact des émotions dans le travail mais aussi libérer la parole émotionnelle, Fullémo réalise un recueil de témoignages sincères et authentiques.
Il s’agit de répertorier les bonnes pratiques sous forme d’interviews écrites autour de six questions dont les réponses contribuent à l’éveil général.
Par ces partages d’expériences issues de tous types d’environnements, nous souhaitons diffuser des grilles de lecture, des manières d’aborder les situations qui peuvent résonner et inspirer nos lecteurs et ainsi favoriser leur épanouissement professionnel.
David Milliat est journaliste et présente l’émission « Jour du Seigneur » sur France 2 depuis octobre 2012.
Ce « passeur d’expériences » décrit avec justesse la place centrale qu’occupent les émotions dans son quotidien professionnel et vous livre ses astuces pour que les émotions soient ses alliées lors des directs.
Je tiens à remercier très chaleureusement David Milliat, qui s’est prêté au jeu avec une grande sincérité !
1. Comment définis-tu ton métier ?
David Milliat : Je présente l’émission Le jour du Seigneur sur France 2
Commentaires de Mathilde Héliès : Le jour du Seigneur est l’émission télévisée la plus ancienne, elle date de 1949. Depuis 2012, vous pouvez y retrouver David tous les dimanches à 10H30.
2. Quel est le sens que tu donnes à ton Job ?
David Milliat : Je suis un passeur d’expériences. Sur le plateau des invités me racontent des expériences de vie et je fais le lien pour les faire passer aux personnes qui nous regardent à la télévision. Ces expériences vécues par d’autres peuvent éclairer les téléspectateurs sur eux-mêmes, sur ce qu’ils vivent ou auront à vivre.
C’est aussi leur donner du sens. L’expérience de la personne qu’on invite peut résonner chez tout le monde : ça peut interpeller, rapprocher, aider à rebondir, à ne pas se sentir seul. »
3. Quels impacts ont tes émotions sur ton travail ?
David Milliat : elles sont au cœur de la rencontre avec l’invité. L’émotion porte plus que le fond du discours, c’est le vécu. L’émotion c’est un marqueur et un transmetteur, elle nous permet d’entrer en relation : l’invité, le téléspectateur et moi.
Je suis la courroie de transmission de l’émotion.
D’ailleurs, ce qui me fait réagir ce sont les émotions de la personne, elles guident la rencontre. Comme je suis le médiateur je dois être sensible à ce que vit la personne.
Cela ne fonctionne que si on est sincère, il peut y avoir de la pudeur, de la retenue, mais il doit y avoir de la sincérité pour permettre à l’émotion de passer.
4. Raconte-moi une expérience dans laquelle tu t’es senti dépassé par tes émotions (ou tu as craint d’être dépassé) ?
David Milliat : j’ai appris quelques minutes avant un direct que j’allais devoir présenter des excuses en début d’émission suite à une erreur que nous avions commise : nous avions diffusé des images dans lesquelles le prêtre qui avait concélébré une messe diffusée sur France 2 avait été condamné pour des atteintes sexuelles sur mineurs.
J’étais en direct depuis Lourdes, l’ambiance était pesante, je me sentais ému, chargé d’émotions négatives qui n’étaient pas à moi. Notre système de vérification avait été enrayé et nous n’avions pas été alertés, c’était un raté. Il apparaissait important d’en être désolé et de le dire, mais comment l’exprimer ?
Je n’étais pas serein, je ne me sentais pas à ma place, ça m’inquiétait et je me demandais « comment je vais gérer ça ? ». La difficulté était de prendre du recul, le sujet est glauque, il y a forcément de l’empathie.
Je me demandais quel est le ton à prendre ? Quoi dire exactement ?
Normalement je sais comment les choses de déroulent sur l’émission, là sur un temps très court, j’ai dû m’adapter : alors qu’habituellement j’improvise beaucoup dans les émissions, je faisais très attention aux mots que j’utilisais, je me mettais la pression en me disant « faut pas te louper » je pensais aux personnes qui ont été choquées par les images.
J’ai finalement pris le parti d’être sincèrement désolé. Comme je ne pouvais pas fuir cette émotion, je l’ai montrée en jouant la carte de la sincérité. L’émotion était réelle et je ne pouvais pas la mettre de côté, alors j’ai été transparent. Les téléspectateurs ont dû voir mon émotion et une fois exprimée l’émotion s’atténue.
Finalement, je pense que c’est ce que les gens attendaient « quelqu’un qui s’excuse vraiment ».
Commentaires de Mathilde Héliès : ses excuses aux victimes et aux téléspectateurs furent prononcées en ces mots : « Au nom de l’équipe du Jour du Seigneur, j’aimerais vous exprimer notre consternation, a déclaré, le présentateur, David Milliat. Nous sommes désolés que cela ait pu arriver. […] Nous n’avons eu aucune alerte concernant ce prêtre. […] Nous nous excusons auprès des victimes et des téléspectateurs qui ont été légitimement blessés et choqués » (source Libération).
5. Quelles sont tes techniques pour rester confortable dans des situations qui t’impactent émotionnellement ?
David Milliat : si mon état émotionnel n’a rien à voir avec le moment, je mets mes émotions de côté, le temps de la rencontre. Je me force à sortir de cet état émotionnel pour entrer dans l’univers de l’autre et voir le moment qui arrive comme une récréation, un jeu. C’est comme si je me mettais dans un rôle, comme un enfant qui se déguise et ça devient ludique. Parfois, se forcer à sourire alors que tu n’en as pas envie te fait bizarrement venir des vraies émotions positives !
En surjouant (comme tu pars de loin), tu arrives artificiellement à être juste.
Je garde les émotions qui entrent dans le cadre de la rencontre, celles qui m’énergisent et je mets de côté celles qui me plombent. Dans le mental, je vois comme une balayette qui les mets de côté.
L’émission dure 30 minutes donc je peux me permettre de les mettre dans un coin, mais il ne faut pas les laisser là. C’est une forme de procrastination émotionnelle.
Je ne pourrais pas faire ça très longtemps et je m’en occupe ensuite mais en étant transformé : la rencontre me détend, je relativise mes problèmes et les émotions d’elles-mêmes se canalisent.
Je sais aussi où aller puiser de l’énergie : je sais que c’est une énergie physique, un peu comme un acteur fatigué qui force sur sa voix.
6. Comment définis-tu l’épanouissement professionnel ?
David Milliat : plus tu es en accord avec tes valeurs, plus il y a de sens, plus c’est épanouissant.
Il faut porter des valeurs qui ressemblent aux tiennes, sinon il n’y a pas de sens. C’est bien aussi quand ce ne sont pas complètement les tiennes mais qu’elles les nourrissent. Je garde mes convictions et mes valeurs pour moi mais elles me permettent de faire avancer mon travail et mon travail les nourrit de son côté.