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PORTRAIT ÉMOTIONNEL #29 Témoignage de Yann Roubert

Témoignage de Yann Roubert

Fullémo réalise un recueil de témoignages permettant d’une part, de sensibiliser au rôle et à l’impact des émotions dans le travail et d’autre part, de libérer la parole émotionnelle en entreprise.

Il s’agit de répertorier les bonnes pratiques sous forme d’interviews écrites autour de six questions dont les réponses contribuent à l’éveil général.

Par ces partages d’expériences issues de tous types d’environnements, nous souhaitons diffuser des grilles de lecture, des trucs et astuces, des manières d’aborder les situations qui peuvent résonner et inspirer nos lecteurs.

Notre intention à travers ces éclairages est d’aider nos lecteurs à lutter contre la fatigue émotionnelle et favoriser leur épanouissement professionnel.

Pour en savoir plus sur les motivations à l’origine de ce recueil de témoignages : cliquez ici

Yann Roubert est Président Directeur Général du Lyon Olympique Universitaire (LOU) Rugby depuis 2012 et vice-président de la Ligue Nationale de Rugby.

 

Les émotions en sport sont intenses, autant dans les tribunes qu’au vestiaire : Yann nous fait découvrir que l’esprit « de gagne » se joue bien au-delà du stade.

Merci Yann d’avoir partagé avec nous les coulisses du LOU !

1. Comment définis-tu ton métier ?

Yann Roubert : Il y a de nombreuses définitions possibles. Mon but ultime est de faire gagner une équipe de rugby et de faire en sorte que l’entreprise qui entoure cette équipe soit pérenne.

J’aime dire qu’un club, c’est une équipe et une entreprise, ce n’est ni que l’un ni que l’autre et ce n’est jamais l’un sans l’autre. Cela implique beaucoup de choses : mettre cette équipe et ses joueurs dans les meilleures conditions pour qu’elle performe et qu’elle gagne et faire partager les émotions de cette équipe avec le plus grand nombre, ceux qui viennent nous voir au stade pour nous encourager, partager nos joies on espère, parfois nos peines.

Faire grandir le rugby à Lyon et faire grandir Lyon dans le rugby.

Les 15 joueurs qui sont sur le terrain représentent la partie émergée de l’iceberg qui nous anime, comme notre ADN est de jouer et de gagner mais il y a aussi l’entreprise qui est autour. Au-delà d’être gestionnaires d’une équipe de rugby, nous avons progressivement intégré de nouveaux métiers : la restauration avec une brasserie ouverte tous les jours. L’organisation d’événements : il y a 16 matchs dans l’année, il faut donc faire vivre le Matmut Stadium les 349 autres jours. Nous accueillons donc plus de deux cents événements par an. Nous sommes aussi devenus promoteurs immobiliers en construisant 28 000m² de bureaux (les Jardins du LOU) et dont les fruits nous ont aider à financer les travaux du stade, nous serons bientôt hôteliers avec un hôtel de 150 chambres en construction, et enfin bientôt producteurs de spectacle de musique avec le lancement d’un festival de musique en juin prochain.

Tout cela c’est justement pour faire vivre le LOU Rugby et faire en sorte que le Matmut Stadium soit plus qu’un stade où on joue au rugby tous les quinze jours mais bien un lieu de vie.

Mon quotidien varie donc d’une semaine à l’autre, c’est ce qui est passionnant. En période de recrutement de joueur ou de match c’est le sportif qui va me prendre le plus de temps, en période d’organisation ou de travaux, c’est l’administratif ou le financier qui domine, en période de signature de contrat ou de lancement des campagnes d’abonnement, c’est plus le commercial. J’essaie de me répartir entre tout cela.

Il y a une centaine de collaborateurs permanents et pour l’organisation d’un match, un peu plus de mille personnes pour en accueillir quinze mille : salariés, intérimaires, prestataires, bénévoles qui donnent du temps et de l’énergie pour le LOU Rugby. C’est une des magies du rugby. C’est un métier de passion. J’ai l’impression d’avoir le métier le plus merveilleux du monde quand on gagne et le plus abominable quand on perd. Mes samedis soir sont soit magiques, soit atroces, ce n’est jamais neutre. On se sent vivre.

2. Quel est le sens que tu donnes à ton Job ?

Yann Roubert : Le LOU Rugby est une entreprise de sport donc il y a évidemment un côté compétition, une envie profonde de gagner. On peut trouver ça futile mais dans notre métier c’est important. C’est ce qui nous motive et il faut bien admettre qu’il y a un côté plein d’égo à vouloir contribuer à des victoires et se battre pour un bout de bois (Surnom du bouclier de Brennus, trophée du Championnat de France de rugby).

Ce bouclier c’est un peu notre Graal après lequel on court à Lyon depuis 1933. Cela fait 89 ans qu’on ne l’a pas eu et c’est cela qui est passionnant, c’est le challenge qui nous anime, qui est très excitant : rapporter le bouclier à Lyon qui ne l’a pas eu depuis presque un siècle !

Avec ceux qui m’entourent, c’est la petite pierre qu’on peut apporter à cette institution de rugby qui existe depuis 1896. Cela fait 125 ans que des gens y laissent de l’énergie, du temps… Nous sommes les héritiers de ceux qui ont fait cela et nous préparons la place pour ceux d’après. Nous aimerions évidemment marquer cette histoire en essayant de faire grandir et progresser ce club pendant que nous sommes là. C’est un beau défi.

3. Quels impacts ont tes émotions sur ton travail ?

Yann Roubert : Forcément les émotions sont assez liées aux résultats C’est assez extrême comme émotion, c’est soit magique quand on gagne, soit abominable quand on perd. J’avoue que quand on perd un match, je suis assez dégouté et il n’y a pas une défaite sans qu’à un instant, je me dis que j’arrête, que cela ne vaut plus le coup. La minute d’après l’envie revient.

Il y a des victoires plus grandes que d’autres, mais il y a toujours une intensité dans l’accolade de la victoire que ce soit avec les joueurs, les entraîneurs, la famille, les actionnaires, les partenaires, les supporters qui fait oublier tous les ennuis qu’on peut avoir au quotidien.

Ce sont justement ces émotions positives qui me motivent, c’est pour aller chercher cette félicité de la victoire, qui est notre dopant, notre adrénaline, qui fait que je suis là et que cela aide à supporter les tracas du quotidien de mon métier.

En dehors des matchs, comme tout chef d’entreprise, je m’efforce de contrôler mes émotions pour qu’elles n’affectent ni le jugement ni le travail. Je fais souvent référence à mon passé d’alpiniste. En montagne, si on cède à la panique, la sanction est fatale : on tombe et on meurt. Je trouve que c’est une bonne référence pour se rappeler qu’il ne faut pas paniquer, qu’il faut rester le plus froid possible avec le plus de recul possible pour avoir un jugement qui soit le moins altéré possible par des émotions. Je me sers beaucoup de ces souvenirs pour rester froid car je suis souvent confronté à des coups de bourre, c’est le propre du sport mais aussi de l’événementiel

Il y a souvent des coups de feu, des coups de stress, qui peuvent être décuplés par les réactions du public, de la presse. Il faut garder la tête froide, prendre le recul nécessaire.

Lors de recrutements, je termine ma présentation en rappelant les maîtres mots que j’aime retrouver au LOU Rugby. Le premier c’est le travail, parce que tous ceux qui sont là ont du talent et le talent s’entretient et se développe par le travail. Le deuxième c’est l’humilité, se rappeler que tant qu’on ne gagnera pas tous les matchs avec le bonus offensif, on peut faire mieux. Il ne faut donc pas oublier l’humilité. Dans le rugby particulièrement, comme dans tous les sports collectifs, on est peu de chose sans le reste de l’équipe, donc chacun doit tenir son rôle et rester à sa place. Le troisième c’est le plaisir. C’est une chance folle de gagner sa vie d’une passion, d’un jeu. Il ne faut pas oublier que le rugby est d’abord un jeu, on ne sauve pas des vies. Il faut évidemment prendre ce plaisir, en être conscient et le partager, croquer la pomme car on n’a qu’une vie..

Peu importe que les gens viennent en payant 10, 100 ou 1000 euros, tous ceux qui viennent au stade paient et la moindre des choses qu’on leur doit est de passer un bon moment, de partager des émotions et de leur donner ce plaisir.

4. Raconte-moi une expérience dans laquelle tu t’es senti dépassé par tes émotions (ou tu as craint d’être dépassé) ?

Yann Roubert : On a eu des moments collectifs où on a été dépassé en bien ou en mal. L’expérience qui me vient, c’est dans un vestiaire à Albi. Nous avions un joueur tongien qui était le beau-frère de Jonah Lomu (il avait épousé la sœur de Jonah Lomu), probablement la plus grande star de l’histoire du rugby, grand ailier r  All Black des années 90.

Jonah Lomu est décédé d’un arrêt cardiaque à son domicile d’Auckland, à l’âge de 40 ans. La femme de notre joueur est partie pour l’enterrement en Nouvelle Zélande mais lui est resté. Il m’avait dit « Ma place est ici, on n’abandonne pas son équipe, Jonah aurait voulu que je joue ce match ». A la fin du match, qu’on a gagné, je félicite les joueurs et lui prend la parole ce qui ne lui était jamais arrivé en public : « Tout le monde me disait d’être avec ma famille aujourd’hui et là, avec vous les amis, j’ai l’impression d’être en famille ». Et là, les 30 hommes qui étaient dans le vestiaire se sont mis à fondre en larmes y compris les colosses de 130 kilos, et moi comme les autres.

Ça fait partie du sport d’être emporté par des émotions. Je me souviens d’avoir eu honte une fois à Carcassonne. On a perdu contre une équipe censée nous être bien inférieure sur le papier mais qui avait mis beaucoup plus d’envie, d’abnégation et d’énergie que nous sur le terrain. On avait pris quarante points ce qui est énorme en rugby et là dans le vestiaire j’étais furieux. Je n’avais pas renouvelé une quinzaine de joueurs la semaine suivante car il s’agissait du dernier match de la saison…

Nous partageons aussi de la joie et c’est pour cela que nous faisons ce métier ! Je me souviens particulièrement du jour où nous avons gagné un match alors qu’on nous promettait la défaite lors de notre premier quart de finale de Top 14. Face à Toulon, au stade Mayol, alors qu’il ne restait qu’une minute à jouer, le Stade (rempli de supporters toulonnais) a compris que Toulon ne pouvait plus nous rattraper. Le stade s’est éteint et nous n’entendions plus que : « le LOU ! le LOU ! », alors que nous étions dans un milieu hostile. Là, il y a des frissons partout et une intensité dans l’accolade de la victoire avec les joueurs, les entraîneurs, les partenaires, les actionnaires, les supporters qui sont magiques. C’est cette minute-là qui fait que les émotions emportent tout et c’est pour vivre cela qu’on est là.

Je lutte énormément contre mes émotions parce que je suis assis en tribune présidentielle. Le président doit garder un peu de self control, de tenue. Je ne peux pas me comporter comme un joueur ou un supporter. Il faut essayer de garder de la maîtrise, de se tenir malgré tout, même si régulièrement on est emporté et c’est beau !

5. Quelles sont tes techniques pour rester confortable dans des situations qui t’impactent émotionnellement ?

Yann Roubert : Je retrouve de la sérénité en pensant à autre chose ou en faisant autre chose. Je n’hésite pas au milieu des soucis à aller courir dans les collines, ou, mieux encore si j’ai le temps, à partir en montagne ou en bateau, faire un golf.

Très clairement, je trouve beaucoup de calme, de sérénité au contact de la nature. Souvent je viens au stade à vélo : je passe d’abord par le Mont Thou, puis les quais de Saône et du coup quand j’arrive au stade, j’ai déjà l’impression d’avoir gagné ma journée. Parfois j’ai vu le Mont Blanc, des collines apaisantes, une belle ville et de l’eau, je me dis alors que je suis prêt à affronter ce qui va m’arriver dans la journée. Après on a la chance dans le sport et dans le business de manière générale d’avoir toujours à remettre le métier sur l’ouvrage. Cela permet à la fois de garder la tête froide, de ne pas s’emballer : si ça se passe mal un samedi, on a la chance de mieux faire le samedi d’après.

Je me rappelle mes cours de culture générale ou de philosophie en prépa où j’étais très clairement qualifié d’épicurien au sens épicurien réel et non pas hédoniste. Épicurien qui met beaucoup de gratitude envers le passé et de confiance envers l’avenir. C’est vrai que j’ai l’impression d’avoir été clairement chanceux, d’avoir un métier top, une famille géniale, des conditions qui vont bien, j’adore ce que je fais. Très clairement, il y a de la gratitude qui donne de la confiance en l’avenir. Je pense souvent au pire qui puisse m’arriver qui n’est finalement pas si effrayant. Même si perdre un match me paraît la pire des choses qui puisse arriver, que j’ai l’impression d’être le plus malheureux du monde, dans les faits, même si on perd ce n’est pas si grave dans la vraie vie. Je vais tout de même tout faire pour l’éviter !

Je vois clairement que je suis moins bien disposé si je ne fais pas de sport ou que je ne suis pas en forme. Il y a un vrai manque. Avoir d’autres centres d’intérêts, voir ma famille, mes amis m’aident beaucoup. J’ai besoin de cette respiration.

J’ai la chance de ne pas être confronté à des situations trop graves avec de vraies conséquences humaines. Face à des difficultés, je vais penser en méta : essayer de me mettre en mode « vue d’hélicoptère » pour voir la situation du dessus et prendre ses distances. Au milieu du feu, prendre deux minutes pour analyser la situation de manière macro ce qui permet d’essayer de ne pas s’affoler pour du très court terme ou des détails.

6. Comment définis-tu l’épanouissement professionnel ?

Yann Roubert : J’ai la chance de faire ce que j’aime. L’épanouissement est pour moi le fait de se sentir bien dans ce qu’on fait, à sa place et de venir avec bonheur à son boulot. En étant à la fois lucide, il n’y a pas de métier parfait, pour moi ça n’existe pas. Et justement, l’épanouissement professionnel est de faire face à tous les soucis et de s’y atteler avec entrain, enthousiasme, énergie, volonté, envie et la conviction qu’on va les dépasser pour aller chercher quelque chose de chouette et de grand. C’est ce qui m’anime.

J’espère que les plus belles émotions restent encore à venir. Je nous en souhaite et j’en souhaite à tous, elles sont d’autant plus grandes, fortes, belles qu’elles sont partagées. C’est ça qui est très chouette dans un sport collectif, on a la chance de partager les émotions avec l’équipe, les partenaires, les supporters, toute la communauté du rugby et elle est grande !

La gestion des émotions des joueurs fait aussi partie du job et du jeu. Sans émotions, les joueurs seraient toujours froids et cliniques, peut être efficaces mais notre jeu passionnerait bien moins de monde… Il arrive souvent qu’un joueur se laisse emporter par un excès d’envie, d’enthousiasme, de colère…

La gestion des émotions fait très clairement partie du travail de tous : entraîneurs, préparateurs physiques et mentaux, tous devons y travailler pour essayer de les rendre positives, y compris la pression.

S’il y a trop de pression, si elle est négative, l’équipe joue sans confiance et avec retenue et ne gagne pas, s’il n’y en a pas assez tout le monde est un peu en dilettante. Il faut doser tout cela le mieux possible pour que tout le monde soit à cent pour cent.

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