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PORTRAIT ÉMOTIONNEL #6 Témoignage de Nathalie Chaize

Nathalie Chaize

Témoignage de Nathalie Chaize

Fullémo réalise un recueil de témoignages permettant d’une part, de sensibiliser au rôle et à l’impact des émotions dans le travail et d’autre part, de libérer la parole émotionnelle en entreprise.

Il s’agit de répertorier les bonnes pratiques sous forme d’interviews écrites autour de six questions dont les réponses contribuent à l’éveil général.

Par ces partages d’expériences issues de tous types d’environnements, nous souhaitons diffuser des grilles de lecture, des trucs et astuces, des manières d’aborder les situations qui peuvent résonner et inspirer nos lecteurs.

Notre intention à travers ces éclairages est d’aider nos lecteurs à lutter contre la fatigue émotionnelle et favoriser leur épanouissement professionnel.

Nathalie Chaize est créatrice de mode, directrice de sa marque éponyme et impliquée dans de nombreuses associations.

Avec générosité, sensibilité, sincérité et créativité Nathalie Chaize nous transmet sa passion et son amour du travail. Elle nous explique combien sa mission, bien au-delà d’embellir les femmes, est de leur donner du pouvoir… un pouvoir qui passe par le vêtement.

Pour en savoir plus sur les motivations à l’origine de ce recueil de témoignages : cliquez ici

1. Comment définissez-vous votre métier ?

Nathalie Chaize : Au départ je disais que j’étais styliste, maintenant je dis « créatrice de mode ».

Mon rôle est d’habiller les femmes, bien sûr, de les rendre belles mais aussi, et surtout, de les rendre plus fortes.

 Ma conception du métier a évolué avec le temps : au départ c’était rendre les femmes belles, faire de belles choses. Et puis, comme j’habille beaucoup de femmes chefs d’entreprises, des femmes qui travaillent, je me suis orientée vers le vêtement « pour aller travailler au quotidien ». Il doit donc être pratique et donner de la puissance, permettre de tenir le rôle de chef d’entreprise. 

2. Quel est le sens que vous donnez à votre Job ?

Nathalie Chaize : Ce métier est une passion. J’ai monté mon entreprise il y a 36 ans, j’adore ce que je fais, cela fait partie de moi. Je me lève tous les matins contente d’aller travailler, dessiner, imaginer, créer, toute mon activité est extrêmement riche.

Je ne peux pas me laisser aller car il faut toujours nourrir cette créativité donc s’intéresser à plein de choses. Cela m’habite et je considère que j’ai une chance extraordinaire d’avoir un tel métier.

 Le sens que je donne à mon job, c’est d’apporter quelque chose aux femmes, leur donner confiance en elles et susciter leur envie de s’occuper d’elles, de mettre en valeur leur personnalité, leur beauté. Je ne veux pas que mes vêtements cachent la femme, je veux que mes vêtements la révèlent pour qu’elle montre qui elle est.

 La phrase que j’aime beaucoup quand une femme se regarde dans la glace avec mes vêtements : « Ça c’est moi » C’est une phrase souvent exprimée. « Ça me va, c’est mon style » cela signifie qu’elle se reconnaît dedans. Des vêtements peuvent ne pas coller à une personnalité. La difficulté est d’habiller toutes les femmes et pas seulement un type de femmes.

 C’est un point qui a évolué dans mon métier : habiller toutes les femmes. Il y a toujours mon style mais je considère les variétés de morphologies. Je m’attache à habiller toutes les morphologies. Avec les lignes, les couleurs, les découpes, les volumes, on peut modifier la silhouette par des effets d’optique. Je travaille beaucoup là-dessus pour gommer certains défauts et mettre en valeur les atouts de la femme.

 Il y a cinq morphologies de la femme : en A, en H, en X, en Y, en V et en O. Pour la femme en A par exemple, qui a un petit buste et des hanches un peu larges, on peut avoir des actions d’optique sur le dessin d’un vêtement pour gommer les hanches et redonner un peu de visibilité en haut de la silhouette, l’harmoniser et l’allonger. J’essaie dans mes collections d’avoir des looks qui conviennent à tous ces types de femmes.

 Imaginer qu’une femme, qui voudrait s’habiller, n’arriverait pas à trouver ce qui lui convient dans ma collection… c’est une situation que je ne veux pas vivre ! Je ne veux pas mettre à l’écart des morphologies ou des types de femmes. Le « rien ne me va » est un cauchemar !

 J’ai créé l’entreprise à 23 ans. J’avais commencé par des études d’architecture, et rapidement je me suis rendue compte que j’avais un problème avec l’échelle de la ville ou d’une maison, trop importantes pour moi, même si je trouvais les études passionnantes. J’avais besoin de quelque chose de plus près de moi.

J’ai d’abord pensé au design et puis comme je faisais déjà mes vêtements je me suis dit « Pourquoi pas la mode ? ». Faire mes vêtements était déjà ma manière d’affirmer ma différence, mon originalité, ce qui était demandé aux étudiants en architecture. C’était le moyen d’expression pour moi le plus facile.

 J’ai fait partie d’un groupe de jeunes créateurs lyonnais et organisé quelques défilés. J’ai pris des cours du soir de coupe en parallèle de mes études d’architecture. J’ai aussi beaucoup appris par moi-même.

 J’étais avec mon compagnon à l’époque, qui est devenu mon mari qui avait fait aussi une école d’architecture et une école de mode. Nous avons présenté un concours où il y avait des stylistes beaucoup plus avancés dans leur vie professionnelle. Le jury était présidé par Paco Rabanne. Quand on a écouté le quotidien des autres candidats, stylistes qui faisaient du porte à porte à Paris pour vendre leurs dessins, je me suis dit que ce n’était pas ce que je voulais, j’avais l’impression qu’on leur volait leurs idées. Nous nous sommes alors lancés, j’avais 23 ans et aucune expérience professionnelle. Nous avons eu un culot incroyable et chacun a monté son entreprise avec 700 euros en poche.

 Démarrant de zéro, les premières années ont été assez compliquées. Au bout de 8 ans, mon mari a décidé d’arrêter sa marque et de se consacrer au développement de ma marque pour s’occuper de la gestion, de la stratégie et du commercial. A partir de ce moment-là, la marque a très bien fonctionné.

Le soutien de mon mari a été essentiel. Comme il est créatif dans sa manière de gérer l’entreprise, il a trouvé des manières d’y arriver sans avoir toujours les moyens. De plus, il apporte son regard créatif sur ce que je réalise. Il me motive, me remet en question. On est très liés. Notre histoire d’entreprise est avant tout une histoire d’amour.

 C’est par amour aussi qu’il a arrêté pour me laisser continuer. Je ne me sentais pas la carrure pour être uniquement chef d’entreprise et lui avait davantage cette force et cette envie-là.

Durant toute la vie de l’entreprise, la priorité a toujours été le couple avant les affaires en faisant des choix qui chaque fois n’allaient pas mettre en danger le couple. C’est sans doute pour cela que l’entreprise dure toujours. Quand on est en couple dans une entreprise, il faut mettre le couple en avant, préserver l’autre tout le temps pour qu’il n’y ait pas de déséquilibre, de frustration ou de vexation. C’est la recette pour faire durer les choses et cela fait durer l’amour aussi car comme on est obligé de respecter l’autre et de faire attention à lui, on nourrit en même temps la relation amoureuse.

 La passion du métier et aussi la passion amoureuse sont au cœur du développement de mon entreprise.

 C’est une très belle histoire et tous les jours je sais que j’ai beaucoup de chance d’avoir une histoire et une vie professionnelle aussi linéaires. Bien sûr, il y a eu des hauts et des bas, mais quand on met son couple en premier, même les épreuves d’entreprise nous apportent des choses et sont intéressantes à vivre, on en tire des leçons.

3. Quels impacts ont vos émotions sur votre travail ?

Nathalie Chaize : Les émotions c’est un peu mon carburant.

C’est ce qui m’enrichit comme être émue devant une œuvre d’art. Je recherche les émotions, évidemment les émotions positives.

La curiosité en premier lieu, pour moi c’est extrêmement important d’être étonnée. L’étonnement me plait parce qu’il va provoquer en moi la créativité. Aller voir des expositions, être étonnée par des couleurs, des formes, voyager pour renouveler ma créativité et mes idées de collection, j’ai besoin d’être extrêmement nourrie. Je cherche à être surprise, étonnée et émerveillée. C’est surtout l’étonnement qui va faire évoluer mes goûts. Si on ne cherche que l’émerveillement, on a tendance à aimer les mêmes choses et à se cantonner dans les mêmes styles de peintres, sculpteurs… Cependant, si on recherche l’étonnement, il faut qu’on soit bousculé pour découvrir d’autres terrains pour aller voir plus loin et avoir des idées différentes.

 Cette recherche est nourrie par les voyages, expositions et la lecture surtout. Je suis boulimique de lecture qui est une manière de m’échapper et de vivre d’autres vies de femmes car je recherche l’univers féminin, c’est ce qui me plait et m’intéresse. La lecture m’apporte énormément et me permet de vivre d’autres émotions.

 Il y a aussi bien sûr l’empathie, car j’ai besoin d’être sensible à des histoires de femmes, à des souffrances. C’est ce qui va m’aider à mieux habiller les femmes. J’ai besoin d’être émue par des histoires d’avoir envie d’aider. J’essaie d’être une femme de cœur. Je suis engagée dans beaucoup associations depuis longtemps. Je donne beaucoup et je reçois énormément en retour.

 Je pense à une association qui est très importante pour moi : il y a quelques années, comme je vis grâce aux femmes, j’ai commencé à aider des femmes en difficulté qui recherchent un travail. Comme il me reste des stocks de vêtements, j’ai souhaité les accompagner en mettant à leur disposition des vêtements pour passer les entretiens d’embauche. Beaucoup n’ont pas forcément les moyens de s’habiller pour ce moment important. Comme je travaille sur le rôle du vêtement, qui met en valeur, qui fait sentir au mieux sa personnalité, une fois qu’on l’a aidée à s’habiller, la personne ne se préoccupe plus de son vêtement et s’ouvre complètement à l’entretien d’embauche pour donner le meilleur d’elle-même.

Cette initiative fonctionne depuis 8 ans, de concert avec Pôle Emploi qui repère les femmes en difficulté. Je gère cela comme une boutique : il y a toutes les tailles et pour toutes les morphologies. Je propose une offre complète et réajuste en fonction des besoins. Là, j’ai de belles histoires car nous allons finalement au-delà de l’entretien d’embauche : il y a aussi une personne qui conseille sur l’image de soi : la colorimétrie pour connaître les couleurs qui vont bien, des conseils sur l’adaptation à leur morphologie.

4. Racontez-moi une expérience dans laquelle vous vous êtes sentie dépassée par vos émotions (ou vous avez craint d’être dépassée) ?

Nathalie Chaize : Une expérience qui me marque encore et dont j’en ai tiré beaucoup de choses. Dans une association de déficients visuels, j’ai rencontré une femme qui était cadre et devenait aveugle petit à petit. Elle faisait partie de cette association et tenait absolument à faire un défilé de mode, c’était son rêve. Je lui ai dit que c’était possible mais si on le faisait, il fallait le faire bien avec chorégraphe, coiffeurs, maquilleurs… j’étais prête à prêter mes collections et contribuer au défilé. On a trouvé le financement adéquat et embarqué plein de monde avec la région : une école de maquillage, des coiffeurs et une chorégraphe…

 Lors de mon premier rendez-vous avec ces femmes déficientes visuelles qui venaient choisir des vêtements, je me suis interrogée sur la manière de présenter un vêtement à quelqu’un qui ne voit pas, qui ne peut se regarder dans la glace, je n’avais pas réalisé cette difficulté. Je me suis vraiment demandée comment j’allais faire, comment les faire choisir, j’étais un peu perdue. Et finalement cela s’est passé très facilement comme si elles n’avaient pas de problèmes de vue. Je me sentais maladroite à décrire, comment « raconter un vêtement » à quelqu’un qui ne sait pas ce qu’est la couleur ? En fait, la première femme a tout de suite, touché mes vêtements et réagi à mes descriptions par périphrases « couleurs d’automne, couleur douce ». Toutes savaient s’orienter vers un vêtement ou un autre. Je n’arrivais pas à comprendre comment ces femmes arrivaient à choisir un vêtement. C’est ensuite avec l’essayage, que j’ai compris qu’elles se demandaient « comment on se sent dans un vêtement ? ». Je les remercie encore de m’avoir apporté cette nouvelle dimension dans mon travail car c’est ce qui me reste encore aujourd’hui. Dans le vêtement, il y a l’image, ce qu’on voit mais il y a aussi tout le reste, la sensation du vêtement sur soi. Qu’est-ce qu’il se passe ? quelles sont les pressions que le vêtement met sur le corps ? Désormais quand j’essaie un vêtement, je le regarde d’abord mais ensuite je ferme les yeux et je me demande ce qu’il se passe : un vêtement un peu trop grand, trop mou, on s’affaisse, un vêtement qui serre un peu aide à se tenir droite… il y a beaucoup de sensations. Je pense tout le temps à cette expérience en fignolant mes vêtements, sans regarder, juste par la sensation.

 Je pensais que le fait de ne pas voir était réducteur, que peu de choses se passaient avec le vêtement mais cela m’a ouvert un champ incroyable auquel je ne prêtais pas attention jusque-là : que se passe-t-il quand on porte ce vêtement ? Qu’est-ce qu’on ressent ? Comment se sent-on ? Bien ? Tenue ? Forte ? Fragilisée ? Cette réflexion a été très importante.

 Le défilé a été absolument incroyable, j’en ai encore la chair de poule. Je suis allée à plusieurs répétitions et la chorégraphe était très directe avec eux en leur apprenant à défiler : « Tu ne vois rien alors pourquoi regardes-tu par terre ? Regarde devant toi, tiens-toi droit ! ». Tous les mannequins étaient déficients visuels et la moitié du public aussi. Il y avait donc une audio description. Les mannequins avaient des cannes blanches décorées, des enfants qui leur tenaient la main ou des chiens. L’émotion a été énorme, palpable, incroyable. C’était un très beau défilé.

C’est un très beau souvenir de panique, puis de découverte incroyable.

5. Quelles sont vos techniques pour rester confortable dans des situations qui vous impactent émotionnellement ?

Nathalie Chaize : J’ai des techniques physiques comme la respiration : je la maîtrise, diminue son rythme et la rends plus profonde.

 L’émotion qui me déplaît le plus est la colère. J’essaie de l’étouffer, de tout faire pour qu’elle ne sorte pas car il n’en sort jamais rien de bien et elle nous fait dire des choses qu’on regrette. Je mets beaucoup de temps à parler si je suis en panique, si je me sens agressée ou en colère pour ne pas dire des choses que je pourrais regretter.

 Je fais aussi redescendre l’émotion par la prise de recul : pourquoi te mets-tu en colère ? « Ça n’a pas d’intérêt, ce n’est pas grave, calme-toi, essaie de comprendre l’autre » c’est à dire au lieu de monter, de répondre en étant agressive, essayer de se mettre à sa place et de se demander pourquoi il se met en colère. Oublier sa colère en essayant de comprendre l’autre : « Si j’étais à sa place est-ce que je me mettrais en colère aussi ? ». Ce mécanisme fonctionne assez bien pour moi.

6. Comment définissez-vous l’épanouissement professionnel ?

Nathalie Chaize : Pour moi, mon épanouissement professionnel est lié à mon épanouissement personnel.

Je m’estime épanouie, j’ai énormément de chance de vivre une histoire d’amour comme celle que je vis. Je vis avec quelqu’un d’extraordinaire et j’ai un métier que j’adore. Je me sens parfaitement épanouie. Même les périodes les plus dures ne sont pas associées à des mauvais souvenirs. Je n’ai d’ailleurs pas forcément de très bons souvenirs associés aux périodes fastes. J’avais l’impression que c’était presque irréel que je n’y étais pas pour grand-chose. J’étais juste embarquée dans une spirale positive que je maîtrisais finalement peu. Je n’ai pas pour autant de bons souvenirs des périodes difficiles. Mais je pense qu’il faut se dire qu’on est la même personne que cela aille bien ou pas.. J’étais la même quand ça allait très bien et quand ça n’allait pas bien.

Je me dis souvent qu’il y a des tas d’événements extérieurs qui vont influencer le cours des choses. En 36 ans j’ai pu constater que parfois la mode est avec vous, parfois elle est contre vous. Même si je suis influencée par les modes, j’ai un style avec des éléments immuables : des formes structurées, pas de superposition, je respecte le corps de la femme. Quand la mode en est éloignée, avec des grandes tuniques et des superpositions, la marque fonctionne moins bien, je ne me remets pas en cause pour autant. La mode n’est pas avec moi, les femmes ont envie d’autre chose que ce que je fais, sois patiente, prends ce que tu peux et adapte, laisse passer. J’ai souvent senti qu’il ne faut pas perdre sa confiance en soi, j’aime mon travail, je le fais de tout mon cœur si cela ne marche pas, je vais essayer de comprendre les tenants et aboutissants sans remettre tout en cause. Pour qu’une collection marche, il faut faire le bon produit au bon moment. Pour cela, il faut avoir des antennes et sentir l’envie des gens. C’est difficile d’anticiper, on conçoit les collections avec un an d’avance, on peut avoir un train de retard ou un train d’avance, on ne maitrise pas.

Pour conclure, je souhaite aux générations qui me suivent la réussite, mais pas seulement : je leur souhaite d’être vraiment en adéquation avec ce qu’ils font, le faire de tout leur cœur, se sentir centré par rapport à leur travail, faire quelques concessions, car bien sûr, on est obligé d’en faire, mais avoir son système de valeurs et ne pas en déroger. Il y a des choses qu’on peut faire et des choses qu’on ne peut pas faire.

L’épanouissement, c’est quand on est centré, qu’on ne déroge pas à ses valeurs, qu’on a l’impression que ce que l’on fait est bien, qu’on a compris où on veut aller, qu’on a son chemin et qu’on le suit.

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