Aujourd’hui, place au portrait émotionnel de Florence Servan-Schreiber, journaliste, autrice et conférencière spécialisée dans la psychologie positive. Elle dirige l’organisme de formation Essentia Conseils, dédié à l’enseignement d’approches thérapeutiques complémentaires et de techniques de développement personnel.
Avec la série Portrait émotionnel, Fullémo donne la parole à des femmes et des hommes qui incarnent, à leur manière, l’intelligence émotionnelle au travail.
À travers ces témoignages sincères et inspirants, nous cherchons à sensibiliser au rôle des émotions dans la vie professionnelle et à libérer une parole encore trop souvent retenue en entreprise. Chaque portrait contribue à faire émerger des clés concrètes pour mieux vivre, ressentir et agir dans le monde du travail.
- Comment définissez-vous votre métier ?
- Quel est le sens que vous donnez à votre job ?
- Quels impacts ont vos émotions sur votre travail ?
- Une expérience où vous vous êtes sentie dépassée par vos émotions ?
- Quelles sont vos techniques pour rester confortable dans des situations émotionnellement intenses ?
- Comment définissez-vous l’épanouissement professionnel ?
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Comment définissez-vous votre métier ?
Florence Servan-Schreiber :
J’ai trouvé une affirmation qui résume mon métier en disant que « je suis professeure de bonheur ». Je viens raconter ce que des chercheurs universitaires déterminent dans leurs laboratoires. En mettant des gens comme vous et moi en situation, ces chercheurs identifient quels sont les comportements, les aspects de nos personnalités ou de nos organisations qui marchent et qui nous permettent de nous épanouir. Cet univers de recherche s’appelle la psychologie positive ou encore la science du bonheur. Comme je m’appuie sur les résultats de ces recherches, je passe l’information.
En tant que professeure de bonheur, je trouve des façons de l’appliquer, me les applique à moi-même et raconte ce qui m’arrive sous la forme de livres, de conférences ou encore de programmes que je crée : ateliers d’écriture, « master class de bonheur », etc. Mon objectif est toujours de venir informer sur le sujet du bonheur.
Il y a un terme que beaucoup n’aiment pas mais qui me convient : la pop psychologie. Le sujet est la psychologie mais la forme, je la rends pop et sexy. Je ne sais parler qu’en couleurs et, de fait, je simplifie le sujet.
L’apothéose de ce qui me plaît comme mélange a été la pièce de théâtre « La Fabrique à Kifs » parce que ni l’écrire ni la jouer n’étaient mes métiers à la base, mais le résultat a été une application absolue de tout ce que je dis et de la façon dont je m’y prends.
Quel est le sens que vous donnez à votre job ?
Florence Servan-Schreiber :
J’ai compris ce que je fais dans la vie en lisant Sapiens en BD, dans lequel l’auteur explique que ce qui différencie les humains des animaux est d’avoir conscience de ce qu’ils voient. Les chimpanzés, par exemple, ne vont pas pouvoir faire confiance à plus d’une douzaine d’individus présents dans leur champ visuel, ce qui limite la puissance du groupe. Alors que les humains dépassent ce cadre grâce à la fiction.
La possibilité de se raconter des histoires communes va fédérer une population. Ainsi fonctionnent les religions, les lois ou l’éducation. Nous choisissons à quelle histoire nous adhérons, et le groupe est scellé. Parfois pour le pire, mais aussi pour le meilleur.
Mon métier consiste à raconter des histoires à ceux qui souhaitent alléger leur vie. J’offre un récit auquel on peut se raccrocher pour décider de tester des choses qui vont nous aiguiller vers du bonheur.
Mon intention est d’apporter de la légèreté et de créer une communauté autour de cette possibilité. Bien que formée en psychologie, je ne suis pas psychologue, je ne soigne personne. Je viens éduquer et alerter. Cela peut soigner, mais ce n’en est ni l’intention ni la promesse.
Je préfère vous inciter à décider par vous-même d’enrichir la gamme de vos comportements. La partie que je préfère est l’initiation. Ce qui me donne envie de continuer, c’est d’entendre quelqu’un dire : « Je ne savais pas que ça existait ».
Je suis un être très excitable et tout part de « est-ce que tu sais que… ? » sur des sujets très variés : un bon restaurant mais aussi une autre manière d’être heureux. J’ai un tempérament de sentinelle que je mets au service des autres selon le principe que si ça m’est utile, cela peut l’être pour d’autres.
Quels impacts ont vos émotions sur votre travail ?
Florence Servan-Schreiber :
Mon premier filtre est émotionnel : il dicte l’effet que va me faire une information. Je ne me considère pas comme une intellectuelle, car ma réaction par l’émotion crée ma hiérarchie d’intérêt. L’excitation est d’abord une réaction émotionnelle.
Je ne sais pas très bien distinguer l’excitation intellectuelle de l’émotionnelle. Il y a une information qui rentre par le cerveau, mais elle doit résonner émotionnellement pour me mobiliser.
Quand j’ai découvert que si l’on éprouve de la gratitude on peut vivre plus longtemps, j’ai ressenti une très grande excitation : « Wouah, ça mérite d’être essayé, c’est si simple ! »
La limite à ce filtre, c’est que si je ne suis pas excitée, je suis désorientée. Mon éditeur m’a proposé un livre sur la respiration. Sujet intéressant intellectuellement, mais il ne résonnait pas. Je n’ai pas pu y consacrer d’énergie.
Tout ce que je fais avec passion me permet de régler des choses en moi. La gratitude me plaît car je suis assez critique. J’essaie des pratiques qui sont l’inverse de mes tendances naturelles. Je crois que ce qui nous donne de l’élan comble souvent des manques passés ou présents.
Commentaire de Mathilde Héliès : de cette découverte, Florence a tiré une conférence TEDx en 2012.
Une expérience où vous vous êtes sentie dépassée par vos émotions ?
Florence Servan-Schreiber :
Un moment fort a été la création de « La Fabrique à Kifs ». J’ai toujours rêvé d’être Julie Andrews, de chanter, danser, être sur scène. Ce rêve d’enfant m’a rattrapée au détour d’un atelier, et j’ai décidé d’y répondre.
Avec deux autres femmes, nous avons travaillé à l’écriture, au jeu, à la mise en scène. Deux ans plus tard, le théâtre nous a rappelé : les billets étaient vendus. Nous n’avions pas fini. Le trac m’a submergée, j’ai cru que je n’y arriverais jamais.
La première fut terrifiante. Mais nous avons tenu. L’émotion, la peur, l’énergie… C’était fou. Et c’était extraordinaire.
Plus récemment, la crise du Covid a provoqué une autre forme de débordement émotionnel. Je dirige une entreprise de formation de dix personnes, en 100 % présentiel. Le stress, le risque, la réinvention… J’ai détesté cette période.
Mais, comme au théâtre, j’ai découvert une autre ressource : l’adaptation. Dans les deux cas, l’expérience m’a transformée.
Quelles sont vos techniques pour rester confortable dans des situations émotionnellement intenses ?
Florence Servan-Schreiber :
Ce qui m’interdit de reculer, c’est l’engagement envers les autres. Je ne peux pas précipiter d’autres personnes dans le vide. Cet engagement alimente mon courage. Il neutralise le doute.
Quand je monte sur scène, je m’appuie sur des rituels : maquillage, blagues, rires partagés. Pendant le confinement, avec mon équipe, nous avions un rituel chaque matin à 10 h. Cela devenait un repère essentiel dans l’incertitude.
Créer des repères émotionnels me permet de rester ancrée.
Comment définissez-vous l’épanouissement professionnel ?
Florence Servan-Schreiber :
L’épanouissement, c’est quand je ne ressens pas que je travaille. Quand une activité me nourrit, je peux la faire sans effort.
Quand une tâche est trop technique, subie, ou non choisie, je peine. Mais si elle répond à mes valeurs, à mon style, à mes compétences, et qu’en retour elle me donne une énergie positive, alors je me sens à ma place.
Ce qui nourrit profondément mon épanouissement, c’est aussi la relation aux autres. Me sentir reliée par mon travail me donne du sens.
